Ces dix dernières années, la théorie du « grand remplacement » s’est peu à peu banalisée dans les médias et a fini par s’imposer dans l’espace public. C’est l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus (condamné en 2014 pour « provocation à la haine et à la violence contre un groupe de personnes en raison de leur religion ») qui popularise cette expression au début des années 2010. Celle-ci désigne une supposée substitution de la population française « de souche », par les populations immigrées extra-européennes. Si cette théorie existe depuis longtemps, Renaud Camus a contribué à la dépoussiérer en lui trouvant une nouvelle appellation et en mettant de côté son aspect antisémite. En effet, beaucoup de carrières littéraires et politiques nationalistes se sont construites sur ce thème, et cela, dès le XIXe siècle. En 1894, paraît un best-seller littéraire intitulé «L’invasion noire », du Capitaine Danrit. De son vrai nom Émile Driant, ce militaire et homme politique français était proche de personnalités nationalistes d’extrême droite telles que Maurice Barrès. Dans son roman, l’écrivain fait le récit de populations d’Afrique subsaharienne qui envahissent l’Europe et qui sont stoppées par des gaz asphyxiants lâchés depuis des dirigeables français. La théorie du grand remplacement (qui n’était donc pas encore formulée ainsi),émerge alors que l’Occident est l’envahisseur. À la fin du XIXe siècle, l’empire colonial français est le deuxième plus grand après celui de la Grande-Bretagne, et s’étend de l’Algérie à l’Indochine, en passant par la Côte d’Ivoire ou encore la Polynésie française. À partir des années 1870, de vastes campagnes de propagande sont mises en place via l’Union coloniale française (UCF) afin d’encourager la population à partir vivre aux colonies. Entre 1850 et 1930, 2,4 millions de Français quittent la métropole. L’Algérie est la destination privilégiée.

La réquisition de travailleurs étrangers pendant
la Grande Guerre

En 1914, la guerre a une incidence directe sur les flux migratoires. Les ressortissants étrangers natifs des nations ennemies rentrent chez eux. La guerre provoque ainsi le départ de milliers de travailleurs étrangers, quand la majorité des travailleurs français sont au front. Les entreprises ne peuvent plus recruter de la main d’œuvre à l’étranger, c’est donc l’État qui prend en charge, pour la première fois, le recrutement (ou la réquisition) massif de travailleurs, ainsi que leur acheminement, leur placement dans les usines ou les campagnes etc. Durant la Grande Guerre, ce sont environ 500 000 travailleurs étrangers qui sont ainsi recrutés, pour la plupart issus de l’empire colonial (Algérie, Maroc, Indochine…). Les populations migratoires incluent également des ressortissants de l’Espagne, du Portugal, d’Italie ou encore de Grèce. Plus de la moitié de cette main d’œuvre étrangère fut employée dans les usines de guerre. Mais les travailleurs issus des pays européens ne reçoivent pas le même traitement que ceux issus des colonies. Ces derniers ont, par exemple, obligation de loger dans des dépôts ou des camps insalubres situés en périphéries des villes. Pour des raisons économiques et politiques, ils sont groupés en fonction de leurs origines tant sur leurs lieux de travail que dans les cantonnements. Les autorités publiques considèrent en effet que grouper les travailleurs par nationalités (Algériens d’un côté, Indochinois de l’autre…) permet d’obtenir un meilleur rendement, tout en s’assurant qu’une solidarité anti-coloniale ne se développe pas entre eux.

Les autorités font également leur maximum pour minimiser le plus possible les contacts entre la population française (notamment les femmes, restées à l’arrière et travaillant, pour une partie d’entre elles, dans les usines de guerre) et la main d’œuvre coloniale.

En haut : Groupe de travailleurs chinois en octobre 1916.
En haut : Groupe de travailleurs chinois en octobre 1916.
© Piston / Excelsior – L’Equipe / Roger-Viollet
Des ouvriers sénégalais chargeant des obus dans une manufacture lyonnaise en septembre 1916.
En bas : Des ouvriers sénégalais chargeant des obus dans une manufacture lyonnaise en septembre 1916.
© Piston / Excelsior – L’Equipe / Roger-Viollet

L’idée selon laquelle la population blanche serait substituée par les populations immigrées noires est également antisémite, puisque ce « grand remplacement » serait le fait d’un complot juif. En 1925, cette théorie complotiste est mentionnée dans le livre « Praktischer Idealismus » (« Idéalisme pratique »), écrit par Richard Coudenhove-Kalergi, soit l’un des pères fondateurs de l’Union européenne. Le « plan Kalergi », (qui désigne donc un prétendu plan de génocide des peuples blancs européens par la submersion migratoire) va circuler dans les franges les plus radicalisées de l’extrême droite tout au long du XXe siècle, en s’appuyant sur la thèse d’un complot juif mondial. Encore aujourd’hui, ce plan est cité dans les sphères d’extrême droite, notamment sur internet. En 2015, le journal d’investigation indépendant italien Linkiesta démontait point par point cette théorie du complot en la comparant à la fake news des Protocoles des Sages de Sion dont on vous parlait ici.

Dans les années 1930, les étrangers représentent 6% de la population française. Une police bureaucratique de l’immigration voit le jour. Ses hommes fourniront les cadres du Commissariat général aux questions Juives de Vichy. Entre 1946 et 1948, la thématique du « grand remplacement », apparaît dans la presse de René Binet, ancien trotskiste converti au fascisme et Waffen-SS. Lui aussi reprend à son compte l’idée que les Juifs voudraient détruire l’Europe par le biais d’une immigration africaine, en y important des peuples non-européens. À cette époque, l’Europe est effectivement détruite, mais ce n’est pas le fait de l’immigration. La France est en ruines, des dizaines de villes ont été bombardées à plus de 75% pendant la guerre. Les industries manquent de main d’œuvre. Les politiques publiques font appel à un million et demi d’immigrants, dont l’arrivée est planifiée sur 5 ans. Une grande partie de cette population est d’origine magrébine (notamment algérienne). En parallèle des foyers construits par la Société Nationale de Construction pour les Travailleurs Algériens (Sonacotral), des bidonvilles apparaissent et perdurent jusqu’en 1972, comme à Nanterre. Dans ce reportage INA, 5 familles immigrées (espagnole, algérienne, yougoslave, sénégalaise et portugaise) racontent leurs vies et leurs difficultés en France en 1974.

Dans les années 1970, les noms de plume se renouvellent mais les mêmes discours perdurent. En 1973, l’écrivain Jean Raspail publie un succès littéraire intitulé « Le Camp des saints ». Le roman fait le récit d’un échouage d’une flotte de bateaux sur la Côte d’Azur, avec à son bord, des immigrés venus d’Inde, et de la submersion civilisationnelle qui s’ensuit. Le roman est traduit en sept langues. À la même époque, la théorie du complot juif qui viserait à exterminer la population blanche européenne se cristallise dans les débats autour de la légalisation de l’avortement. L’extrême droite monte au créneau en affirmant, par exemple, que dépénaliser l’avortement revient à « tuer les petits enfants blancs par « la juive Veil« . » Considéré comme « visionnaire » par l’extrême droite française, Marine Le Pen recommande la lecture du livre « Le Camp des saints » à tous les Français en 2015 (année du décès de l’auteur), quand Valeurs Actuelles lui consacre sa Une en surnommant Jean Raspail, le « Prophète. » La pensée identitaire raciste française s’exporte aussi très bien à l’étranger. Stephen Bannon, l’ancien premier conseiller de Donald Trump lorsqu’il était Président, cite le livre à tout bout de champ.

Dans le bidonville de Nanterre au printemps 1968.
© Serge Santelli / Archives départementales des Hauts-de-Seine.
Un campement de personnes migrantes à Paris en 2016.
© Frederic Legrand – COMEO / Shutterstock

Le « grand remplacement », de la théorie du complot aux passages à l’acte terroristes.

Selon l’historien Nicolas Lebourg, cette théorie du complot est débarrassée de son aspect antisémite (du moins en apparence), à la suite des attentats du 11 septembre 2001, « pour la faire seulement mythe mobilisateur raciste et islamophobe. » C’est en 2010 que l’écrivain Renaud Camus trouve la formule « grand remplacement », qui sera popularisée en grande partie par Éric Zemmour. Renaud Camus se rapproche alors d’une mouvance du nom d’Eurabia, selon laquelle « l’Union européenne serait l’instigatrice d’un complot visant à faire de l’Europe une colonie islamique », et dont se réclamait Anders Breivik, l’auteur des attentats d’Oslo et d’Utøya en 2011. D’autres attentats furent commis au nom du grand remplacement. Ce fut le cas de celui de Christchurch, en Nouvelle-Zélande en 2019. Cette double attaque contre des mosquées fut 51 morts. Mais encore, on peut citer l’attentat d’El Paso, dont le terroriste qui a tué 23 personnes avait déclaré vouloir lutter contre « l’invasion hispanique du Texas. » Plus récemment, en 2022, le suprémaciste blanc Payton Gendron a assassiné 10 personnes et fait 3 blessés dans la tuerie de Buffalo, dans l’État de New York. Là encore, l’auteur de l’attentat était nourri des théories d’extrême droite en ligne sur la peur d’un « génocide blanc. » Tous les manifestes d’extrême droite de ces auteurs d’attentat sont pour colonne vertébrale la théorie du « grand remplacement », qui a été reprise jusque sur les plateaux télé de chaînes états-uniennes. En France, la menace terroriste la plus sérieuse est celle issue de l’extrême droite, selon les services de renseignement.

L’Ère de la mondialisation néolibérale.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, les échanges mondiaux se densifient et s’accélèrent. La mondialisation est présentée comme un processus vecteur de libre-échange à travers le monde, mais les inégalités entre les pays et les territoires sont entretenues et maintenues dans le but de servir les intérêts politiques et économiques des pays du Nord et des entreprises. Comme la pandémie du covid-19 nous l’a rappelé, le système de dette étrangle les pays pauvres, notamment d’Afrique. En juillet dernier, l’ONU estimait qu’environ 3,3 milliards de personnes – soit près de la moitié de l’humanité – vivent dans des pays qui dépensent plus en paiement des intérêts de la dette que pour l’éducation ou la santé. La privatisation des services publics dans les pays du Sud, mise en place dès les années 1980, précarise aussi fortement ces territoires. C’est ainsi que la France a découvert, durant la pandémie, qu’environ 11,5% de ses médecins travaillant dans les hôpitaux français sont issus de pays d’Afrique et possèdent des diplômes étrangers. La destruction organisée des services publics rendant difficile l’exercice de leur métier dans leur pays d’origine, nombreux sont ces médecins qui viennent travailler en Occident, avec des rémunérations moindres et un statut différent.

Si la France exploite sa main d’œuvre étrangère qualifiée, elle tire aussi profit de la main d’œuvre non-qualifiée. Depuis plusieurs dizaines d’années, les pays occidentaux n’ont plus besoin de réquisitionner des travailleurs étrangers sur leurs territoires, puisque la mondialisation a permis aux entreprises de délocaliser et de profiter ainsi d’une main d’œuvre à bas coût. Seulement, certains secteurs d’activités dit « sous tension » (autrement dit, avec des conditions de travail tellement pénibles qu’il est très compliqué d’embaucher des travailleurs français), sont nécessaires à la gestion des territoires. Hôtellerie-restauration, bâtiment, travaux publics, sécurité, nettoyage… Ces domaines d’activités aux fortes pénibilités constituent les secteurs qui emploient le plus de travailleur-ses sans-papiers, qui aujourd’hui représentent environ 400 000 personnes en France.

Extraits de la campagne « Liberté, Égalité, Régularisez » de la Cimade.
© La Cimade

Déconstruire les idées reçues sur l’immigration

Il n’existe pas de définition juridique internationale du mot « migrant. » Selon les Nations Unies, ce terme désigne « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer » Dans un but statistique, l’ONU distingue les « migrants à long-terme » du « migrant temporaire ». Chargé d’une connotation péjorative, ce terme sert surtout à désigner les personnes issues des pays du Sud. À l’inverse, les personnes occidentales qui migrent vers un autre pays sont appelées des « expatriées ». Les données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) concernant les inégalités de déplacements dans le monde sont éloquentes. Quand des passeports japonais, allemand ou français ouvrent la porte à respectivement 192, 190 et 189 pays du monde, des nations comme l’Afghanistan, le Rwanda ou l’Algérie ont accès à quelques dizaines de pays (sans visa). Les idées reçues et les intox concernant l’immigration sont nombreuses, relayées dans certains médias, et peu déconstruites. Dans le livre En finir avec les idées fausses sur les migrations, des États Généraux des Migrations, les auteur-ices démontent un par un tous les clichés véhiculés sur le sujet. De « il y a de plus en plus de migrants » à « l’identité européenne est en danger », en passant par le fameux « accueillir les étrangers augmente le risque terroriste », le livre offre des réponses à tout, en seulement 200 pages. L’idée reçue la plus commune, est sans doute celle qui consiste à affirmer qu’il y aurait de plus en plus de migrants. Si le nombre de migrants tend en effet à augmenter ces dernières décennies, lorsqu’on le rapporte à la population mondiale, il y a, en réalité, beaucoup moins de migrants qu’il y a 100 ans.

Au début du XXe siècle, les migrations internationales représentaient 5% de la population mondiale, contre 3,5% de nos jours. Sur les 7,7 milliards d’être humains que compte la planète aujourd’hui, un sur trente est un migrant.

« En finir avec les idées fausses sur les migrations », des États Généraux des Migrations

De même, le livre rappelle que la plupart des personnes qui migrent le font sans quitter leur pays de naissance ou alors pour s’installer dans un pays voisin. Ce sont des faits que l’on peut également observer via les données de l’OIM. Le livre démonte aussi le mythe de « l’appel d’air ». Selon la droite et l’extrême droite, si la France améliore ses conditions d’accueil, cela encouragera les personnes migrantes à venir en France, et celle-ci serait alors « envahie ». Les études internationales ont toutes démontré qu’il n’existe aucune corrélation entre les conditions d’accueil et les flux migratoires. Au contraire, comme l’explique les États Généraux des Migrations, la fermeture des frontières accroît le nombre d’immigrés. Plus les frontières sont ouvertes, plus les personnes circulent, plus elles sont fermées, plus les personnes ont tendance à se sédentariser. Ouvrir les frontières, c’est assurer des conditions sûres et dignes de migration. Là encore, la centaine d’organisations qui composent les États Généraux des Migrations est unanime sur le sujet. En 2018, les EGM ont rédigé un cahier des alternatives, dans lequel est proposé un répertoire d’actions et d’initiatives visant à donner des pistes concrètes et réalistes pour une politique d’immigration hospitalière.

Manifestation pour l'ouverture des frontières à Paris en 2023.
Manifestation pour l’ouverture des frontières et la régularisation des sans-papiers à Paris en mars 2023.
© Eric Bery / Shutterstock

Tout est fait pour que les personnes migrantes soient paumées et qu’elles abandonnent.

Depuis deux ans, Charlie (prénom d’emprunt) est bénévole à temps plein à l’association Solidarité Migrants Réfugiés de Besançon (Solmiré), qui travaille auprès des mineur-es non accompagné-es. Depuis les débuts de l’association en 2017, celle-ci a aidé une centaine de jeunes environ. « Au début, on accompagnait des familles, mais au fur et à mesure, de plus en plus de jeunes sont arrivés sur le territoire », explique Charlie. Ces jeunes font face à un enjeu bien particulier. À leur entrée sur le territoire français, ils doivent répondre à une évaluation sociale, durant laquelle des agents de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) leur posent de nombreuses questions sur leur vie et leur parcours. Ces entretiens peuvent durer plusieurs heures d’affilée. À l’issue de cette évaluation, un groupe de professionnel-les décident s’ils sont mineurs ou majeurs. Dans le premier cas, ils sont alors pris en charge par le département pour l’hébergement et la scolarisation. Dans le second cas, ils sont remis à la rue. « Ces personnes ont dû endurer de grands traumatismes pour arriver jusqu’ici. On parle de violences, de tortures, de mutilations, de viols… Ils doivent tout raconter, et s’ils ont le malheur de s’embrouiller ou de se tromper sur une date, c’est plié. Ils se font attaquer sur des détails vraiment insignifiants. » Charlie donne l’exemple d’un jeune mineur remis à la rue alors que son passeport avait pourtant été authentifié par la préfecture. « Leur argument, c’est de dire qu’ils ne veulent pas prendre le risque de reconnaître mineure, une personne qui serait majeure. Sauf que le doute doit profiter à l’intéressé, là ce n’est absolument pas le cas. » Ni mineurs, ni majeurs, les jeunes accompagnés par Solmiré (surtout des garçons) sont dans un no man’s land juridique. « Quand un jeune est mis à la rue, on appelle le 115, le numéro d’urgence. Sauf que le 115 ne prend en charge que les personnes majeures. C’est le serpent qui se mord la queue, ils se renvoient la balle avec la préfecture et, au final, rien n’est fait. » Solmiré dénonce les évaluations du département ainsi que « toutes ces formes de violences et d’injustices administratives. »

Le département du Doubs met à la rue entre 150 et 300 jeunes par an. On accueille ceux qu’on peut, ceux dont on a connaissance de la situation.

Brochure d'accueil de SOLMIRÉ
Brochure d’accueil des nouveaux et nouvelles bénévoles. © Association Solmiré Besançon.

Si ces personnes n’ont pas l’opportunité de tomber sur des assos comme nous, leur parcours d’errance continue avec beaucoup de violences.

Solmiré compte entre quinze et vingt bénévoles, et s’appuie sur un réseau d’hébergement solidaire, via lequel ces jeunes sont accueillis dans des familles, le temps de faire toutes les démarches nécessaires à l’obtention des papiers. Un travail souvent long et chronophage, pour lequel une bonne partie des membres de l’association travaille presque à temps plein bénévolement. « En général, on arrive à avoir un contact d’un de leurs proches au pays, donc on envoie de l’argent là-bas pour que cette personne, un membre de leur famille par exemple, puisse nous envoyer les papiers du jeune qu’on accompagne », explique Charlie. « Tout ce travail est très intense, on réalise entre 10 heures à 30 heures de bénévolat par semaine. » Une fois que le jeune a reçu ses papiers, il est envoyé à la police aux frontières, afin d’entamer les démarches d’obtention du passeport. La préfecture délivre ensuite un avis sur l’authenticité du document. Une fois reconnu mineur, le jeune est alors pris en charge par le département.

Si vous ne pouvez héberger un jeune qu’une semaine, ou même un weekend… c’est déjà ça et ça dépanne ! C’est nous qui organisons le planning.

L’association fonctionne sur un modèle collégial, sans subventions, et dépend ainsi des dons de particuliers. « On doit s’organiser constamment pour qu’il y ait une présence tout le temps, y compris pendant les vacances », confie Charlie. « On ne peut pas mettre en pause l’association pour quelques semaines, ni même quelques jours. On a des gamins qui comptent sur nous. C’est une responsabilité énorme. » De la même manière, Solmiré a besoin de personnes hébergeuses. « On en manque vraiment ! Nous avons vingt à trente contacts, et on s’entraide beaucoup avec les autres associations, mais dix hébergements en plus ce serait incroyable ! »

Des jeunes accompagnés par SOLMIRÉ lors d'une sortie à la montagne.
Des jeunes accompagnés par SOLMIRÉ lors d'une sortie à la montagne.
Quelques jeunes accompagnés par Solmiré lors d’une sortie à la montagne. © Collectif Solmiré Besançon.

En plus d’offrir un hébergement aux jeunes, l’association Solmiré aide à la scolarisation, met en place des sorties culturelles, sportives et des moments conviviaux comme des spectacles ou des piques-niques. « On tisse des liens forts avec les jeunes qu’on accompagne, parce que ça s’inscrit dans la durée, et dans la construction de leur identité. On ne les aide pas, on les soutient, c’est différent. Comme nous, ils n’ont pas envie de vivre dans une société aussi discriminante. » La plupart des jeunes accompagnés par Solmiré viennent de pays d’Afrique de l’Ouest, et sont donc francophones. « Même en parlant français, ça reste compliqué pour tout », déplore Charlie. « C’est un parcours du combattant, tout le temps. Certains jeunes n’ont pas été à l’école, ou alors, très peu. » Elle ajoute : « Si notre engagement bénévole est intense, l’avantage c’est que ça nous permet d’avoir une expertise de terrain. Mais on refuse de ne faire que de l’accompagnement, et on ne veut pas se substituer aux pouvoirs publics. Au contraire, on veut que ceux-ci prennent leurs responsabilités ! » Enfin, un volet « actions coups de poing », vient compléter les missions de l’association. « On cherche à exercer différentes formes de pressions. Ça passe par des communiqués, des campagnes de mails, des interviews dans les médias, voire des occupations de locaux publics. On fait aussi des saisines à la Défenseure des droits », énumère Charlie. La militante explique aussi que de nombreux et nombreuses travailleur-ses de la protection de l’enfance font appel à Solmiré. « Nos coordonnées circulent facilement. Les travailleurs sociaux n’en peuvent plus. À la base, ils choisissent ce boulot pour aider, accompagner. Ils se retrouvent à faire un taf qui les broient. »

Il y a un malaise immense dans les structures de l’aide sociale. Beaucoup de travailleurs sociaux sont à bout, complètement détruits par les hiérarchies et les politiques.

Manifestation pour réclamer le droit d'asile d'une famille dont la mère et la fille risquent l'excision, à Besançon en 2022.
Mobilisation le 13/06/2022 pour réclamer le droit d’asile d’une famille dont la mère et la fille risquent l’excision.
© Collectif Solmiré Besançon.

On refuse que nos actions restent invisibles. C’est pas normal que les politiques laissent des associations sans moyens faire le travail à leur place. On est appelés toutes les semaines par des jeunes en détresse, qui sont à la rue, qui ont froid et qui sont laissés aux abois !

Anne Vignot, maire Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Besançon, avait présenté un plan d’accueil des personnes migrantes sur le territoire bisontin fin 2021, qui prévoyait l’accueil de 350 réfugiés par an. De son côté, le conseil départemental du Doubs affirme qu’en 2022, les mises à l’abri par le département ont augmenté de 103% par rapport à l’année précédente. « La municipalité fait son coup de communication pendant les périodes d’élections, mais il n’est jamais suivi d’actes. La mairie pourrait mettre en place une politique volontariste en faveur de l’accueil de ces personnes, mais elle ne le fait pas. Ils ne prennent pas leurs responsabilités d’élus », fulmine Charlie. En début d’année, l’association Solmiré a accueilli deux jeunes filles mineures mises à la rue par le département du Doubs.Plus faible opportunité de quitter le pays, mais aussi parcours migratoires stoppés : les jeunes filles mineures sont peu à entrer sur le territoire français, et nombreuses sont celles qui sont victimes des réseaux de proxénétisme et de traite humaine.

C’est traumatisant pour tous les jeunes. Mais en termes de risques pour leurs vies, c’est pire pour les filles.

Charlie fait aussi le constat de la présence de l’extrême droite sur Besançon. « La politique laisse de la place à ces discours-là, qui sont validés et dorénavant valables. Les gens avaient beaucoup plus honte avant. Aujourd’hui, il règne une impunité qui est dingue. » Les bénévoles de Solmiré reçoivent des lettres anonymes avec leurs photos, ainsi que des menaces. « On a la chance d’avoir une importante riposte antifasciste à Besançon. C’est très important, car elle empêche vraiment ces groupuscules de prendre de la place et de s’approprier l’espace public. » En décembre 2023, l’examen du projet de loi immigration de Darmanin sera lancé à l’Assemblée nationale. Depuis 1980, il s’agit de la 30e loi sur l’immigration. D’abord annoncé en 2022, ce projet de loi a été repoussé à plusieurs reprises, et fait l’objet de vives contestations dans les milieux de gauche. Parmi les éléments contestés : la systématisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF), mais aussi l’augmentation des assignations à résidence et du nombre de centres de rétention administrative (CRA). Le texte a fait l’objet de nombreuses censures du Conseil constitutionnel. Comme toutes les autres associations et organisations de soutien aux personnes migrantes et sans-papiers, Solmiré s’est opposé à ce projet de loi et ses membres ont bien l’intention de continuer leur mobilisation.

Nous savons que la politique gouvernementale actuelle est faite de racisme et d’ostracisme. Ce n’est pas une question de moyens ni d’espaces, mais de choix politiques.