Les enjeux
Les 6 et 9 août 1945 eurent lieu les premières attaques atomiques de l’Histoire à Hiroshima et Nagasaki, qui firent plus de 200.000 mort-es au total. Annonciateurs de la guerre froide, ces bombardements représentent, à ce jour, la seule utilisation de l’arme nucléaire durant une guerre et constituent des crimes de guerre commis par les États-Unis. Quelques années plus tôt, en août 1939, un collectif de physiciens dont fait partie Albert Einstein, adresse une lettre au Président Roosevelt afin de l’avertir qu’il est techniquement possible de réaliser une bombe très puissante en utilisant de grandes quantités d’uranium. Convaincu que les scientifiques au service des nazis se serviront de cette découverte pour créer une bombe atomique, Einstein qui a fui la montée du nazisme en débarquant à Ellis Island en 1933, souhaite en avertir la Maison-Blanche et lui conseille d’acquérir de grands stocks d’uranium afin d’accélérer la recherche scientifique sur la réaction en chaîne. Roosevelt, qui prend cette menace très au sérieux, nomme un certain Robert Oppenheimer comme coordinateur du projet. Le 16 juillet 1945, après de nombreuses recherches, la première bombe nucléaire explose dans le désert d’Alamogordo, dans l’État du Nouveau-Mexique. Appelé Trinity, cet essai n’a pas été effectué au milieu de nul part, comme le laisse entendre le film Oppenheimer sorti en salles en 2023. Cancers de l’estomac ou de la thyroïde : de nombreux-ses habitant-es, à majorité Natif-ves ou hispaniques, en ont été victimes ainsi que les générations suivantes, comme en témoigne cet article qui cite le tweet d’une journaliste américaine ayant travaillé sur le sujet : « Nombre de ces familles étaient installées sur les mêmes terres depuis des siècles. L’équipe d’Oppenheimer a littéralement abattu tout leur bétail d’une balle dans la tête et l’a passé au bulldozer. Les gens ont fui à pied, sans savoir où aller. Riches en terres, pauvres en argent. Leurs terres ont été saisies par le gouvernement. » Connu comme un militant de gauche et pacifiste, Einstein, de son côté, n’a jamais été averti de ces recherches. Il découvre l’existence de cette bombe atomique en même temps que le reste du monde, soit le 6 août 1945. Pendant des années, il militera pour le désarmement nucléaire en cofondant notamment le Comité d’urgence des scientifiques atomistes. En 1955, peu avant sa mort, le prix Nobel de la Paix rédige un manifeste dans lequel il réclame la disparition des armes atomiques de la surface de la Terre. À la même époque, il déclare que si sa carrière était à refaire, il aurait préféré devenir plombier ou colporteur.
Les tests nucléaires au profit de la politique coloniale
Le 13 février 1960, la France teste sa première bombe nucléaire dans le Sahara pendant la guerre d’Algérie, après des travaux menés dans le plus grand secret entre 1954 et 1960. Baptisée Gerboise bleue, la France devient la quatrième puissance nucléaire à la suite de cette opération, après les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni. Gerboise bleue entraîne des retombées radioactives dans une zone de 200 km de large et de 100 km de long, alors que les habitations les plus proches de l’essai sont à seulement 70 km. Dans cet article, le co-fondateur de l’Observatoire des armements Patrice Bouveret affirme : « On a une vision d’un Sahara où il n’y a pas grand monde, qu’il y a seulement un désert. Or à l’époque, il était habité d’importants villages, mais considérés comme quantités négligeables par la classe dirigeante de l’époque.(…) De Gaulle avait espoir d’isoler le Sahara de l’Algérie, pour le garder comme terrain d’expérimentation. » À la suite de Gerboise bleue, seize autres essais nucléaires seront réalisés dans le Sahara algérien, trois en plein air à Reggane, et treize essais souterrains In Ekker. Ceux-ci ont lieu entre novembre 1961 et février 1966, soit bien après l’indépendance de l’Algérie obtenue le 5 juillet 1962. Puis, de 1962 à 1996, les tests nucléaires français se poursuivront, cette fois en Polynésie. Au total, le nombre de victimes exposées à de la radioactivité suite à tous ces essais est estimé à 400 000 personnes, militaires compris. Le 5 janvier 2010, la France vote la Loi Morin, qui prévoit désormais une « procédure d’indemnisation pour les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française entre les années 1960 et 1998. » La procédure n’est disponible qu’en français en en tahitien, et uniquement sur internet, ce qui représente un manque d’accessibilité important pour les habitant-es des régions concernées. Selon le rapport d’activités 2023 du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), seulement 1026 personnes ont obtenu le statut de victime depuis 2010 (607 métropolitain-nes, 417 Polynésien-nes et 2 Algériens), ce qui représente 36% des demandes.
Du traité de non-prolifération des armes nucléaires…
Les années 1960 sont le théâtre de plusieurs événements qui ont risqué de mener le monde au bord de la guerre nucléaire ou encore d’accidents nucléaires tel celui de Palomares (collision entre un Boeing et un bombardier américain en 1966 au large de l’Espagne, lors de laquelle deux bombes H sont détruites lors de l’impact au sol et entraînent de la dispersion radioactive, et une autre bombe est perdue dans fond de la Méditerranée puis retrouvée 89 jours plus tard. La côte d’Almeria, dans le sud de l’Espagne, était toujours contaminée en 2012.) À cela, on peut évoquer la crise de Berlin au début des années 1960, durant laquelle le dirigeant de l’URSS Khrouchtchev use et abuse du recours public et fréquent à la menace de l’emploi de l’arme nucléaire. Même danger en 1962, lors de la crise des missiles de Cuba. Le président Kennedy apprend qu’à Cuba, à 140 kilomètres de ses côtes, les Soviétiques et les Cubains construisent des composants balistiques pour des missiles nucléaires. Lors de son allocution du 22 octobre 1962, il prononcera ces mots : « Tout missile lancé depuis Cuba contre une nation de l’hémisphère occidental sera considéré comme une attaque de l’Union soviétique contre les États-Unis, ce qui nécessitera une riposte totale contre l’Union soviétique. » Les journaux de l’époque rapportent une terreur générale, avec des populations qui vident les supermarchés et la construction d’abris de fortune. Cet événement sera à l’origine de la mise en place du téléphone rouge, afin d’éviter tout risque d’escalade nucléaire entre les États-Unis et l’URSS par la suite. À la suite de tous ces événements, le 1er juillet 1968, au terme de trois ans de négociations, le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est signé à l’ONU puis ratifié en 1970. Ce traité vise à réduire le risque que l’arme nucléaire se répande à travers le monde. La France n’y adhère qu’en 1992, et à ce jour, seuls quatre États ne l’ont pas signé ; l’Inde, Israël, le Pakistan et le Soudan du Sud. En 2003, la Corée du Nord annonçait s’en retirer. À l’heure actuelle, neuf pays sont en possession de l’arme, parmi eux, les cinq qui s’en étaient dotés avant le traité (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine), et par la suite, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord ont rejoint la liste.
… au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Le 26 septembre 1983, le monde a de nouveau éviter une guerre nucléaire, au prix cette fois, du seul facteur chance. Le coup de bol. Cette année-là, dans la nuit du 25 au 26 septembre, alors que la tension entre les USA et l’URSS est à son comble, un officier de garde sur la base d’alerte anti-aérienne soviétique située à une centaine de kilomètres au sud de Moscou, et répondant au nom de Stanislav Petrov, est chargé de recueillir des informations de la part de satellites soviétiques qui surveillent d’éventuels tirs de missiles nucléaires menaçant l’Union soviétique. À minuit et quinze minutes, heure de Moscou, le système d’alerte anti-missiles informe de cinq tirs de missiles balistiques intercontinentaux en provenance d’une base américaine. Les informaticiens de la base sont formels : les ordinateurs fonctionnent correctement. Malgré l’alerte et la procédure qui l’oblige à alerter les autorités, Petrov décide d’affirmer à ses supérieurs qu’il s’agit d’une fausse alerte. Selon lui, si les États-Unis attaquaient l’Union soviétique, ils ne se limiteraient pas à envoyer cinq missiles, mais beaucoup plus. Petrov avait raison. Par la suite, on apprendra que les ordinateurs avaient détectés des reflets solaires dans les nuages s’apparentant au dégagement d’énergie des missiles. La même année, Leonard Perroots, un agent de renseignement américain, a permis, lui aussi, de stopper une escalade nucléaire avec l’URSS. À chaque fois, il s’en est fallu de peu, et surtout d’un seul individu, pour éviter le pire. Pertes humaines massives, crise sanitaire, déplacements massifs de populations, famines, effondrement du commerce international, pollution des sols, de l’eau et de l’air, effondrement des écosystèmes… L’impact d’une guerre nucléaire dans le monde serait dévastateur pour l’ensemble de l’humanité. Un risque qui fait froid dans le dos, d’autant qu’il est toujours aussi actuel. Pas plus tard qu’en 2024, la Corée du Nord agitait la menace nucléaire durant les élection américaines, et, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Russie a accéléré sa course aux armements nucléaires.
Entré en vigueur le 22 janvier 2021, le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est un traité international des Nations unies visant à interdire les armes nucléaires dans le monde. Les États parties au TIAN s’interdisent la mise au point, l’essai, la production, le stockage, le transfert, l’utilisation et la menace de l’utilisation d’armes nucléaires, en raison des conséquences humanitaires catastrophiques qu’entraînerait leur utilisation. Pour les États dotés d’armes nucléaires y adhérant, le TIAN prévoit un processus assorti d’un calendrier, conduisant à l’élimination vérifiée et irréversible de leur programme d’armes nucléaires. En France, ce sont 87 villes et 4 collectivités locales qui soutiennent le TIAN, dont une grande partie en Bretagne. La campagne pour promouvoir ce traité fut porté par ICAN (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons, soit, en français, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires.) Il s’agit d’u ensemble d’ONG contre la prolifération nucléaire fondé en 2007, qui est présent dans 110 états et compte 700 organisations dans le monde. Entretien avec le directeur d’ICAN France.
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L’initiative
On est face à une arme qui est actuellement sur des avions et des sous-marins à divers endroits du monde, et prête à être tirée à l’instant T.
Jean-Marie Collin est directeur de la campagne française de ICAN France. Il travaille sur les problématiques de désarmement nucléaire depuis 2002. « J’ai toujours travaillé pour des ONG », raconte t-il. « Quand la campagne s’est lancée en 2007, à l’initiative de plusieurs organisations, on s’est rendus compte qu’on avait jamais bossé sur les conséquences pour les êtres humains. En fait, jusque là, on avait suivi le schéma imposé par les gouvernements, qui est de centrer la question du nucléaire sur l’arme en elle-même. » ICAN et les autres organisations travaillant sur le sujet (le comité international des Croix-rouge, Attac, la Ligue des droits de l’homme…) s’inspirent alors de la campagne contre les mines antipersonnel menée en 1998 qui est parvenue à faire interdire ce type d’armes. « Cette campagne c’était centrée sur l’humain, et non pas sur l’arme. On a, nous aussi, voulu casser ce paradigme. » La branche française de ICAN voit le jour en 2013. « J’ai été très proche d’ICAN dès le départ, et j’en suis le directeur depuis 2023. » Progressivement, l’expression « les conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires » et la réalité qu’elle désigne devient la pierre angulaire de la campagne internationale pour l’abolition de ces armes.
L’arme nucléaire, un risque pour les populations qui accélère le dérèglement climatique
L’emploi de l’arme nucléaire vient accélérer le dérèglement, car celui-ci cause de plus en plus de tensions dans le monde, donc plus de conflits, donc plus de risques d’emploi de l’armement nucléaire. On parle d’une arme de destruction massive. Mais elle est tellement encensée qu’on a presque tendance à l’oublier !
Jean-Marie Collin et les militant-es d’ICAN remettent en question le discours officiel qui entoure l’arme nucléaire, et que l’on entend dans nos cours d’Histoire depuis l’enfance. « L’arme nucléaire a toujours été encensée comme quelque chose de prestigieux, soi-disant qu’on aurait eu le siège au Conseil de sécurité de l’ONU grâce à elle. Alors qu’il y a un sacré fossé temporel qui sépare ces deux événements… » Plus exactement, 1946 pour le premier, et 1960 pour le deuxième. L’argument le plus récurrent brandi par les pro-nucléaires porte, bien entendu, sur la dissuasion, qui justifie presque à elle seule l’emploi et la fabrication de l’armement nucléaire. « Sauf que le problème de miser là-dessus, c’est qu’on ne peut pas prouver que c’est grâce à ça qu’il n’y a pas eu de guerre ! », s’exclame Jean-Marie Collin. « On ne peut pas créer une Terre parallèle, pour refaire l’expérience du XXe siècle, cette fois sans nucléaire, pour voir si ça marcherait pareil ou pas. » À cela, il ajoute que plusieurs faits dans l’Histoire démontrent que le pari de la dissuasion nucléaire n’a pas si bien fonctionné, mais aussi que bien souvent, c’est le facteur chance, et uniquement celui-ci, qui nous a permis d’éviter une catastrophe liée à l’utilisation de l’arme nucléaire. « Le principe, c’est quand même de viser en permanence des populations civiles pour que l’adversaire potentiel ne puisse pas nous attaquer. À l’heure où l’on se parle, il y a un sous-marin français, quelque part dans le monde, qui dispose d’une centaine d’armes nucléaires, soit mille fois Hiroshima, et qui est prêt à frapper des zones sur la Chine ou la Russie, tuant ainsi des centaines de milliers de personnes ! Dans le droit international humanitaire, c’est interdit de viser sciemment des civils. Nos gouvernements sont conscients qu’ils doivent être prêts à vaporiser, brûler des êtres humains, détruire des villes entières en seulement quelques minutes, et cela à tout moment. » Jean-Marie Collin s’appuie sur quelques exemples, comme celui de la guerre du Kippour en 1973, qui opposa Israël (qui avait le soutien des USA) à l’Égypte et la Syrie (ayant l’appui de l’Union soviétique), et qui mit le monde au « bord du gouffre nucléaire » comme le relate cet article d’Orient XXI. « Pour être réellement efficace, la dissuasion devrait fonctionner à 100%. Or, à de nombreuses reprises, si on a évité une catastrophe c’était uniquement grâce au facteur chance. » Jean-Marie Collin fait notamment référence à la nuit du 26 septembre 1983 dont nous avons fait le récit dans « Les enjeux. »
L’arme nucléaire représente un gaspillage financier et de ressources humaines énorme. On consacre de l’esprit humain à ça plutôt qu’au dérèglement climatique !
Ce que signifie l’adoption du traité d’interdiction par l’ONU.
On a enfin un instrument qui prend en compte les victimes, toutes les victimes, y compris les survivants de Hiroshima, Nagasaki, et des divers essais nucléaires.
« C’est une vraie victoire que l’on a obtenue à trois. Les États, car on ne peut rien faire sans eux à l’ONU, le Comité international des Croix-rouge et ICAN », souligne Jean-Marie Collin. Dans son article 1, le traité est relatif aux différentes interdictions que les États s’engagent à respecter. « C’est un traité qui interdit toute relation avec les armes nucléaires. Autrement dit, l’emploi, l’essai, la fabrication, la politique de dissuasion. C’est d’ailleurs ce dernier point qui a fortement déplu à la France. » La dernière interdiction concerne le financement. « Il est interdit que des banques ou des systèmes financiers accordent de l’argent à des entreprises qui fabriquent des systèmes clefs aux armes nucléaires. » Plusieurs banques en Europe s’y sont déjà engagées, à travers la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) définie par la Commission européenne, mais aussi ailleurs dans le monde. C’est par exemple le cas de la Deutsche Bank ou encore de la banque belge KBC. Cependant, ces engagements sont à relativiser. En effet, si de plus en plus d’établissements financiers excluent, totalement ou partiellement, le financement des armes nucléaires, un rapport commandé en 2024 par ICAN et Pax Christi (ONG pour la Paix ayant un statut consultatif à l’ONU) montre que les montants investis ou prêtés, eux, augmentent. Ainsi, on y apprend que le nombre d’organisations finançant la production d’armes nucléaires est passé de 306 à 287 entre 2023 et 2024, mais à l’inverse, les investissements ont augmenté de 15 milliards d’euros, soit un total de 477 milliards de dollars en actions et en obligations pour l’année 2024. Même chose pour les prêts, qui ont augmenté de 57 milliards de dollars pour atteindre 342 milliards. Parmi les institutions financières identifiées, figure la Deutsche Bank. Pour autant, selon Jean-Marie Collin, cette pression désormais exercée sur les banques est essentielle, car il impacte tous les États, y compris ceux qui n’ont pas signé le traité. « Dans un discours en 2020, Macron a ordonné aux autorités bancaires de ne pas appliquer ce traité. » Le directeur d’ICAN France fait référence au discours du Président prononcé le 7 février 2020 à l’école de guerre (établissement de formation des officiers supérieurs de l’armée et des services de la Défense), dans lequel il affirme : « (…) la France n’adhérera pas à un traité d’interdiction des armes nucléaires. Ce traité ne créera aucune obligation nouvelle pour la France, ni pour l’Etat, ni pour les acteurs publics ou privés sur son territoire. » Autre article particulièrement intéressant du traité – qui en contient vingt au total – est l’article 6, qui oblige à la « remise en état de l’environnement des zones contaminées » et à l’assistance aux victimes de l’utilisation et des essais d’armes nucléaires. « Ce traité amène aussi des questions majeures portant sur l’obligation de l’égalité hommes/femmes », ajoute Jean-Marie Collin. « Des études ont permis de comprendre que les effets des accidents nucléaires ne sont pas les mêmes pour les hommes que pour les femmes et les jeunes filles, celles-ci étant souvent plus à risque, ne serait-ce que par la stérilité engendrée par un tel événement. » Le chercheur prend l’exemple des femmes survivantes à Hiroshima et Nagasaki qui ont été marginalisées et victimes de discrimination sociale du fait de leur stérilité ou du fait qu’elles mettaient au monde des enfants ayant des malformations graves. « Ce sont de véritables drames psychologiques et sociaux. Nous n’avions pas conscience ni connaissance de tous ces effets avant le traité, ça nous a permis de développer une nouvelle culture du désarmement nucléaire. »
« Bien sûr, le rôle de la société civile est de toujours en demander plus. À ICAN, on travaille aussi à la validation d’un fonds spécial à l’ONU pour aider les populations victimes de l’environnement à cause du nucléaire.«
En quoi consiste le désarmement nucléaire ?
Le désarmement, ça ne veut pas dire que dans l’après-midi, ça y est, tous les systèmes sont mis à la poubelle ! Aujourd’hui, la France ne veut même pas participer comme observateur à l’ONU sur ce sujet ! Alors que ça commence déjà par là…
Pour Jean-Marie Collin, les états démocratiques ont une responsabilité supplémentaire dans ce processus de désarmement. « C’est aux États démocratiques de faire le premier pas. Nous sommes censés créer plus d’égalité, de droits, de justice. » Il précise aussi que le désarmement est avant tout une volonté, puis un processus qui nécessite du temps et de la réflexion. « Petit à petit, il faut réfléchir à comment on peut démarrer, par quoi on remplace éventuellement les différents systèmes de sécurité, combien de temps tout cela peut prendre… Maintenant, l’armement reste quelque chose de très connoté masculin, viril. Le fait de montrer sa force. C’est comme si militer pour le désarmement signifiait montrer de la faiblesse, de l’empathie… On a un vrai shift à opérer dans nos mentalités là-dessus aussi. »
Créer des ponts avec la jeunesse pour le climat
Jean-Marie Collin tient aussi à préciser qu’il n’est pas nécessaire d’être bardé de diplômes ou de connaissances très pointues pour s’engager contre l’armement nucléaire. « De la même manière qu’il n’y a pas besoin de savoir comment fonctionne l’atmosphère pour s’engager pour le climat, c’est pareil sur ce sujet ! » Aussi, il déplore que cette lutte ne soit portée que par des « vieux militants. » « Sur la cinquantaine d’organisations qui prend part à ce mouvement pour l’abolition de l’arme nucléaire, on compte la LDH, Attac, le mouvement Utopia, l’Observatoire des armements, ou encore le Collectif pour l’Interdiction des Armes Nucléaires du Finistère (CIAN 29). Autrement dit, des organisations portées par des personnes qui ont milité entre les années 1970 et 1990. On a tous un peu des cheveux blancs, et une façon de porter la cause qui est très différente de la jeunesse pour le climat par exemple. »
Les jeunes militants écolo ne connaissent pas ce sujet. Il faudrait qu’on cesse d’être chacun dans nos couloirs et de séparer en bloc nos luttes, alors qu’elles ont plein de points en commun. Je pense qu’on a tous le souhait d’un monde plus humain, plus vivable et plus respectueux de la nature et de l’humain.