70% des Français-es, de droite comme de gauche, veulent moins d’immigration. Je maintiens que l’immigration n’est pas une chance pour la France.

Bruno Retailleau, octobre 2025.

Ce fut un ministre de l’Intérieur connu pour ses idées réactionnaires et son autoritarisme : Bruno Retailleau a finalement quitté le gouvernement en octobre 2025, pour être remplacé par Laurent Nuñez, et en laissant derrière lui une circulaire qui visait à réduire fortement les droits des personnes migrantes et à augmenter les expulsions du territoire, surfant sur une obsession sur l’immigration irrégulière. En France, le discours politique sur l’immigration n’a jamais été aussi dur, alors même que le pays a besoin de personnes venues d’ailleurs pour fonctionner. Dans un article publié en 2023 sur Lisbeth, nous rappelions déjà que les secteurs dits « en tension » — bâtiment, aides à domicile, agriculture, restauration, nettoyage, logistique — tiennent en grande partie grâce aux travailleur-ses étrangèr-es. L’arrivée de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur n’a fait qu’accélérer les politiques autoritaires en matière d’immigration. Circulaires durcies, critères renforcés, régularisations raréfiées : l’étau administratif se resserre, tandis que la vie de milliers de personnes bascule dans l’arbitraire.

Des tentes Quechua dans lesquelles survivent des personnes migrantes, à Paris en 2016, déployées autour d'un panneau publicitaire faisant la communication de l'exposition "Coluche"... © Frédéric Legrand - Shutterstock
Des tentes Quechua dans lesquelles survivent des personnes migrantes, à Paris en 2016, déployées autour d’un panneau publicitaire faisant la communication de l’exposition « Coluche »… © Frédéric Legrand – Shutterstock

Des « lois immigration » de plus en plus sévères

La politique française n’avait cependant pas attendu le président du parti Les Républicains pour serrer continuellement la vis autour des droits des personnes étrangères. Ainsi, en 2024, on constate

  • la délivrance de 336 700 premiers titres de séjours, soit une hausse de 1,8% mais en ralentissement,
  • des expulsions du territoire en augmentation de 26,7%, avec 21 601 reconduites au total,
  • une baisse des régularisations de 10%.

On rembobine : en France, les gouvernements successifs aiment empiler les « lois immigration ». En 2018, sous la houlette du ministre Gérard Collomb, la Cimade et d’autres associations de terrain alertaient déjà sur un texte qui allait « considérablement dégrader les droits des personnes migrantes en France » : allongement de la durée de rétention administrative, réduction des délais pour déposer une demande d’asile, multiplication des mesures de surveillance… Mais c’est la loi « Immigration » de 2024 qui marque les esprits. Appliquée sous Gérald Darmanin, les expulsions sont encore facilitées, même pour des jeunes arrivé-es en France avant leurs 13 ans ; de nombreuses mesures durcissent l’accès et le renouvellement des titres de séjour, notamment en ce qui concerne les revenus ou la connaissance du français ; demander l’asile devient encore plus compliqué qu’avant. La Cimade, elle, parle de « fabrique des sans-papiers », puisque « avoir droit au séjour devient de plus en plus intenable », et que le droit français se dote d’un « arsenal procédural pour refuser ce droit au séjour ». En parallèle, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) a publié en ligne un exemple de questionnaire de culture générale soumis aux candidat-es à la naturalisation française. On y trouve des questions sur la guerre de Cent ans, la construction de la Tour Eiffel, Brigitte Bardot ou encore la Marseillaise… Ces tests démontrent ainsi une certaine vision de ce que serait « être Français-e ». Étrangement, aucune question ne porte sur des événements historiques telles que la Commune de Paris, l’indépendance de l’Algérie, ou encore sur Aimé Césaire et Maryse Condé… Aussi, les tests linguistiques ont été durcis. Un reportage tourné par France Télévisions en février dernier a mis en situation réelle d’examen des personnes de nationalité française, toutes nées sur le territoire. Au total, elles étaient dix à se prêter au jeu pour obtenir la nationalité, et parmi elles, un seul n’avait pas le Bac, la plupart des autres participant-es étaient très diplômé-es. Résultats : sur les dix participant-es, cinq n’ont pas eu la moyenne et deux autres ont raté l’examen (pour obtenir leur propre nationalité donc !)

Ne laissons pas s’inscrire aux frontières de la France la devise qui orne l’entrée de l’Enfer de Dante : « Toi qui entres ici abandonne toute espérance. »

Extrait de « Bienvenue à Calais : Les raisons de la colère », de Marie-Françoise Colombani et Damien Roudeau

Utopia 56 arrive sur un lieu de vie de personnes migrantes © Félix Vanderdonckt
Des bénévoles d’Utopia 56 arrivent sur un lieu de vie de personnes migrantes © Félix Vanderdonckt

La circulaire Retailleau : un droit déjà strict réduit à peau de chagrin

Pourtant, la Cimade – et d’autres – le rappelle continuellement : la France n’est pas « dépassée par des flux d’immigration irrégulière » comme les ministres successifs se bornent à le marteler. En 2021, Gérald Darmanin annonçait entre 600 000 et 800 000 personnes en situation irrégulière. Même sur la fourchette haute, cela représente un peu plus d’1% de la population française. Cette année-là, la population étrangère dans son ensemble représentait 7,7% de la population en France, un chiffre en deçà de la moyenne européenne. Ce chiffre correspond à l’estimation, à hauteur de 700.000, du nombre de travailleurs sans-papiers, selon la CGT en 2023. Malgré tout, les gouvernements successifs s’obstinent à encadrer de plus en plus sévèrement la situation des personnes étrangères en France. La « circulaire Retailleau » publiée en début d’année 2025 est un exemple en matière de limitation de tous les droits liés au séjour : droit d’asile, titre de séjour annuel ou pluri-annuel, régularisation grâce au travail ou aux membres de la famille (par exemple quand on a un enfant né sur le territoire). Jusqu’en janvier 2025, c’est la « Circulaire Valls » de 2012 qui primait : un document qui complétait les contours d’un arsenal législatif plutôt flou, précisant des situations ouvrant des droits au séjour, autres que par le travail. Elle permettait la régularisation des étrangèr-es parents d’enfants scolarisés, celle des personnes dont le conjoint était en situation régulière, ou celle des jeunes étrangèr-s entré-es mineur-es en France et devenus majeur-es. Elle ouvrait aussi cette possibilité à des personnes au « talent exceptionnel » ou ayant rendu des services à la collectivité. 

La circulaire Retailleau abroge la circulaire Valls et vient réduire ces possibilités à peau de chagrin. Selon la Cimade, elle prolonge une « politique dangereuse qui consiste à stigmatiser, suspecter et précariser les personnes étrangères ». Si les motifs de régularisation de plein droit, inscrits dans la loi (notamment les liens personnels et familiaux) restent applicables, le texte renforce le pouvoir arbitraire des préfectures. Exit les précisions sur les parents d’enfants scolarisés et les personnes ayant un-e conjoint-e en situation régulière : on entre ainsi, d’après la Cimade, dans l’incertitude pour les personnes concernées. La circulaire ajoute aussi de nouveaux critères ou « indices » d’intégration comme la présence depuis 7 ans sur le territoire (au lieu de 3 ou 5 ans auparavant pour des admissions exceptionnelles au droit au séjour), la signature d’un contrat d’engagement à respecter les « valeurs de la République » et – on l’a vu plus haut – une maîtrise du français. Pour la régularisation par le travail, la circulaire promet qu’exercer un « métier en tension » sera une porte d’entrée, mais la liste de ces métiers a mis des mois à être publiée, et s’est révélée aussi restreinte qu’inutile pour les travailleur-ses ayant eu espoir d’être régularisé-es ainsi. Si les régularisations au titre de la circulaire Valls étaient déjà « dérisoires » selon la Cimade, les associations s’inquiètent d’un accès aux droits devenant quasi impossible.

On parle de “fabrique de sans-papiers” puisqu’avoir droit au séjour devient de plus en plus intenable

La Cimade

Un des bidonvilles visités par Utopia 56 © Félix Vanderdonckt
Un des bidonvilles visités par Utopia 56 dans la région toulousaine © Félix Vanderdonckt

Des travailleur-ses sans-papiers complètement découragé-es

À la Cimade de Toulouse, les changements de règles sont suivis de très près. Et pour cause : ils ont des impacts très concrets sur les personnes concernées. Au total, 15.000 personnes sont suivies sur des situations différentes : régularisation, problèmes de renouvellement de titres, rejet de demandes d’asile etc. « On informe et accompagne les personnes étrangères dans l’accès aux droits, de la demande d’asile aux situations d’expulsion en passant par les titres de séjour », explique Pierre Grenier, salarié de la Cimade Toulouse. « On sensibilise aussi le grand public et on intervient en milieu fermé, comme dans les centres de rétention », précise-t-il. Ce qui marque le plus le professionnel dans les politiques récentes, c’est d’abord à quel point « on a franchi un cap au niveau du discours ». Ainsi, il affirme : « la circulaire Retailleau s’inscrit dans la droite ligne des politiques publiques depuis 30 ans, mais là, dans le discours, on frôle le racisme ». Selon lui, cette parole libérée et décomplexée légitime des pratiques « souvent illégales, et qu’on ne voyait pas avant ».

En Gironde, le préfet enjoint à ses services de ne pas étudier le droit au séjour de ceux déboutés du droit d’asile. C’est illégal, mais c’est assumé.

Pierre Grenier, La Cimade Toulouse

Or, ces décisions prises au sommet de l’État ont des conséquences concrètes sur les personnes accompagnées par la Cimade : « Maintenant, on sait qu’une mère isolée avec des enfants scolarisés, qui aurait peut-être été régularisée avant la circulaire, aura moins de chances », observe Pierre Grenier. Il voit aussi des travailleur-ses étrangèr-es sans-papiers complètement découragé-es : « l’option « métiers en tension » avait suscité beaucoup d’espoir, mais une fois la liste publiée, ça s’est révélé inapplicable et ça a été la douche froide. Des jeunes hommes m’ont dit qu’ils ne s’en sortiront jamais alors qu’ils vivent et travaillent ici depuis des années ». Résultat, beaucoup ont plus de mal à décider d’engager une procédure, ils ont « peur d’être identifiés par l’administration car il y a des risques à faire une demande », pointe encore Pierre Grenier. Et pour cause : les préfets ont donné comme consigne que dès qu’un refus de titre de séjour est prononcé, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) l’est dans la foulée. C’est la loi de 2024 qui a encore plus révélé cette obsession française : « La France est le pays qui prend le plus de décisions d’expulsions en Europe », détaille le salarié de la Cimade Toulouse : 138 000 en 2022, loin devant le 2e européen, l’Allemagne, avec… moins de 3000. « Depuis 2024, les personnes ayant des enfants ou un conjoint français ne sont plus à l’abri d’une expulsion », ajoute le professionnel. « Donc une mère d’enfant français qui perd son titre de séjour peut être expulsée. Au même titre qu’une personne célibataire présente depuis 3 mois. Je ne fais pas de hiérarchie mais ça questionne quand même ». Selon lui, l’obsession des OQTF amène à des absurdités, puisque si la mesure d’éloignement est prise plus facilement, elle n’est pas forcément appliquée : faute de moyens notamment pour exécuter ces mesures, les gens restent sur le territoire sans possibilité d’obtenir un titre, dans une espèce de no man’s land administratif. « Bref, on créé des personnes sans-papiers », rappelle encore Pierre Grenier.

Dès qu’un refus de titre de séjour est prononcé, une OQTF l’est dans la foulée. La France est le pays qui prend le plus de décisions d’expulsions en Europe

Pierre Grenier, La Cimade Toulouse

Utopia 56 part en tournée © Félix Vanderdonckt
Utopia 56 part en tournée © Félix Vanderdonckt

Une politique performative

Au quotidien, ces politiques se traduisent par des contrôles de plus en plus fréquents, et plus spectaculaires, explique le salarié de la Cimade Toulouse : « ce sont surtout des actions de mise en scène. Chez nous, à la frontière espagnole, au Pays Basque, on assiste régulièrement à des démonstrations de force. Un peu avant l’été 2025, tous les transports en commun, les gares, ont fait l’objet de contrôles massifs », explique-t-il, avant d’ajouter : « Les personnes sans-papiers contrôlées vont se retrouver en centre de rétention, dont la moitié sera libérée pour vice de procédure ou erreur d’appréciation parce que les services sont surchargés, et d’autres verront leurs droits réétudiés ». Les contrôles fréquents sont observés au moins depuis 2019 dans les bus, privilégiés par les personnes exilées pour leurs prix réduits. Mais d’autres associations de terrains confirment aussi qu’ils se sont fortement accentués depuis l’arrivée « d’un gouvernement qui diffuse et applique les idées de la droite extrême ». En avril 2025, lors d’un déplacement dans les Pyrénées-Atlantiques, le ministre Bruno Retailleau qui vantait les mérites d’une « force frontière » se félicitait de l’arrestation de 144 « étrangers en situation irrégulière » sur 3 jours. Pierre Grenier estime que tout cela a « des effets concrets sur les personnes parce que ça alimente la peur, mais ça ne fait pas une politique publique ».

De l’autre côté de la Garonne, à la paroisse du Sacré Cœur, « on assiste à de nombreuses OQTF, et des OQTF rallongées », explique Nora Rahal, présidente de Solidarité Migrants Patte d’oie. Cette association laïque est née en 2020 de l’élan de paroissien-nes pour aider des exilé-es sans-abri. « Depuis la loi Darmanin en 2024, ces OQTF sont passées de 1 à 3 ans, et elles sont assorties de plus en plus d’interdictions de retour sur le territoire français », précise Nora Rahal. L’association accompagne surtout des personnes demandeuses d’asile, en donnant des cours de français (1.000 élèves sont pris en charge chaque année par près de 50 proffesseur-es bénévoles à raison de 46h par semaine), mais aussi en apportant une aide juridique. Pour l’asile aussi, « les conditions se sont durcies », observe celle qui est présidente de l’association depuis 2 ans et y a officié auparavant comme prof bénévole. « On a vu des Palestinien-nes de Gaza se faire refuser l’asile, avec des raisons qui nous semblent peu justifiées. On a vu un réfugié politique de Géorgie qui a dû repartir après un passage en centre de rétention. Ces gens sont considérés comme n’étant « pas en danger » ou comme n’ayant pas assez de preuves de ce danger ».

On a vu des Palestinien-nes de Gaza se faire refuser l’asile (…) Ces gens sont considérés comme n’étant « pas en danger » ou comme n’ayant pas assez de preuves de ce danger !

Nora Rahal, présidente de Solidarité Migrants Patte d’oie, Toulouse

Nora Rahal raconte que l’OQTF arrive souvent après un long parcours administratif : un refus de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et un échec en appel à la CNDA (Cour nationale du Droit d’asile). En amont, Solidarité Migrants « aide à écrire le récit de vie, à préparer les entretiens… », explique la présidente, qui précise qu’environ 1.500 personnes passent les portes de l’association chaque année, avec plus de 70 nationalités représentées : « il y a des gens du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan… des personnes qui ont quitté leur pays en raison des guerres, des violences, ou des réfugiés climatiques. En ce moment, nous rencontrons beaucoup de Soudanais-es ». C’est une famille d’un pays d’Afrique sub-saharienne qui l’a marquée très récemment, symbole d’une autre difficulté que rencontrent la majorité des personnes venues chercher de l’aide à la Patte d’oie : l’hébergement. « Une femme enceinte de huit mois, son mari et leur bébé d’un an étaient complètement à la rue », raconte t-elle. « Avec des avocats, on a essayé de faire un référé d’urgence au tribunal, on a secoué ciel et terre. Et heureusement, des bénévoles ont proposé de les héberger chez eux ». Elle se réjouit aussi que dernièrement, la Patte d’oie ait trouvé des solutions pour trois familles, mais en-dehors de Toulouse : à Albi ou à Lourdes.

Utopia 56 part en maraude © Félix Vanderdonckt
Utopia 56 part en maraude © Félix Vanderdonckt

Le système D comme ultime recours

Comme la plupart des associations, Patte d’oie repose entièrement sur la motivation d’une centaine de bénévoles, mais aussi de quelques services civiques. L’association peut aussi compter sur des rentrées d’argent de leur braderie bi-annuelle, ce qui leur permet de temps en temps, de pouvoir payer une nuit d’hôtel à certaines familles. « On a très peu de subventions. D’ailleurs, j’en profite pour dire que notre structure est preneuse de dons financiers et matériels ! » Nora Rahal ajoute : « Sinon, on indique aux personnes où aller pour être à peu près en sécurité, comme le hall des urgences de l’hôpital Purpan ». Ce système D (« par un tel froid, dans des conditions très dures », rappelle-t-elle) est devenu la norme, depuis que « les possibilités d’hébergement d’urgence se sont encore réduites ». Elle renchérit : « Le PAIO, soit le Pôle d’Accueil, d’Information et d’Orientation, qui gère le 115 ici (le numéro à appeler pour trouver un hébergement d’urgence, NDLR) a confirmé qu’ils souffrent d’une réduction des moyens ». Dans ce contexte, le maillage avec les autres associations est essentiel, comme l’explique la bénévole : « on contacte les structures qui hébergent par exemple les personnes LGBTQIA+ ou encore les femmes qui ont subi des violences… » Elle salue d’ailleurs le tissu associatif « dense » sur Toulouse et ses environs, qui permet de tenter de répondre à chacun des besoins des personnes étrangères en difficulté. C’est aussi comme ça que Solidarité migrants Patte d’oie peut proposer des sorties le week-end, notamment sportives, avec « Sports terre d’accueil » ou « Rugby no limit ». « Et ça, c’est très important pour des personnes en plein dédale administratif ! », estime Nora Rahal.

La solidarité s’exprime aussi dans le reste de la population. Notre interlocutrice se rappelle d’enseignant-es qui s’étaient mobilisés pour aider une maman isolée, victime d’une politique pour le moins rude : « Les départements ont l’obligation de trouver des solutions d’hébergement pour les mères seules, depuis la fin de la grossesse, jusqu’aux trois ans de l’enfant. Mais le jour des trois ans, la prise en charge s’arrête. On a connu une dame dont l’aînée était à l’école et la petite à la crèche. Elle s’est retrouvée à la rue le jour des trois ans de la plus jeune. C’est innommable. Heureusement, le directeur d’école et les professeur-es s’étaient cotisés pour lui payer un mois en hôtel ». Nora se rappelle aussi des manifestations menées devant le bureau du PAIO non loin de la Patte d’oie (« une agence très utile pour nous », précise-t-elle), et de la mobilisation d’avocat-es qui avait permis de maintenir ce lieu ouvert en faisant reculer l’État qui voulait faire des économies.

« Beaucoup d’enfants en bas-âge et des familles sont à la rue »

Dans toute la périphérie de Toulouse, on dénombre une vingtaine de lieux de campements maintenant, et cela nous prend trois semaines pour en faire le tour. Avant, il y avait moins de lieux et ils étaient plus grands. On pouvait en faire le tour en une semaine.

Louise Berger, coordinatrice d’Utopia 56 Toulouse

Mais selon Utopia 56, une autre association qui aide les personnes exilées à Toulouse depuis 2018, la situation reste dramatique au vu du nombre de personnes qui dorment dehors ou dans des squats. La trentaine de bénévoles intervient « dans les « lieux de vie informels » », explique Louise Berger, coordinatrice d’Utopia 56 Toulouse. Squats, bidonvilles, campements… « Dans toute la périphérie de la ville, on en dénombre une vingtaine maintenant, et cela nous prend jusqu’à trois semaines pour en faire le tour. Avant, il y avait moins de lieux et ils étaient plus grands. On pouvait en faire le tour en une semaine », précise la coordinatrice. Une conséquence, suppose-t-elle, des expulsions de plus en plus régulières observées ces derniers mois, opérées par les propriétaires, main dans la main avec le tribunal administratif et la police. Les quelque 600 personnes rencontrées chaque mois par les équipes d’Utopia 56 sont donc plus dispersées qu’avant, ce qui rend le suivi difficile. Et si ces personnes n’ont nulle part où aller, c’est aussi parce qu’elles ne connaissent pas leurs droits ou se retrouvent dans des limbes administratives, d’après Mathilde Raina, l’autre coordinatrice de la structure : « On rencontre beaucoup de gens perdus, qui ont lancé une demande d’asile mais qui ne savent pas qu’ils ont normalement droit à être hébergés dans un centre par l’État, ni qu’ils sont domiciliés à la SPADA (structure de premier accueil des demandeurs d’asile) ».

Utopia 56 accompagne d’ailleurs les personnes rencontrées pour les domicilier à la Croix Rouge. Une première étape essentielle pour pouvoir entamer des démarches, notamment d’accès aux droits de santé (aide médicale d’État et complémentaire santé solidaire), ce qui constitue l’accompagnement principal d’Utopia 56 Toulouse. Et qui demande un certain suivi sur plusieurs mois. « On explique aux gens que le délai entre la première domiciliation et la possibilité d’avoir des droits santé est de 3 mois. Et le visa touriste avec lequel certains sont arrivés ne compte pas pour prouver trois mois de présence sur le territoire, donc ça demande déjà 6 mois au même endroit », explique Mathilde Raina. « Ensuite, une fois la demande déposée après avoir rassemblé tous les documents, les cartes AME et C2S sont délivrées au bout d’un mois, voire un mois et demi ». Mais le fait de ne pas avoir un chez-soi empêche de se stabiliser, et « il semble n’y avoir aucune solution », expliquent les professionnelles, dont l’association n’est pas en mesure d’offrir des hébergements, mais fournit parfois des tentes et du matériel, grâce aux dons de particuliers. Elles se chargent également de contacter le 115, tout comme les personnes concernées, mais butent face à un manque criant de places. « À force, elles se lassent et arrêtent d’appeler », d’après les coordinatrices, qui regrettent aussi que les expulsions régulières leur font perdre la trace de certaines personnes suivies. Parmi lesquelles, de nombreuses familles : « Il y a beaucoup d’enfants en bas âge, de grandes familles de 7-8 enfants », rapportent-elles. Et quand elles sont expulsées et, pour certaines, relogées « dans un hôtel à 2 heures de Toulouse », cela entrave une scolarisation stable et ralentit toutes les démarches. « Parfois, la personne perd son travail, et leur départ induit un changement d’assistante sociale de secteur, alors il faut tout refaire », pointe encore Mathilde Raina. « Heureusement, pour les enfants, les associations d’accès à la scolarité font un bon boulot pour le suivi », soulignent celles qui renvoient également vers la Cimade les personnes accompagnées qui rencontrent des difficultés d’accès à un titre de séjour. « Et ce, même en ayant un travail depuis des années », confirme Mathilde Raina, en pensant notamment aux nombreux ressortissants roumains, bulgares, albanais, roumains et/ou de la communauté rom accompagnés par son association.