Qui d’entre-vous connait Ada Lovelace, Hedy Lamar, Radia Perlman, Margaret Hamilton, Joan Clarke ou encore Grace Hopper ? Toutes ces femmes ont pourtant joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’informatique. Ada Lovelace fut la première programmeuse du monde. Nous n’aurions peut-être pas le GPS, le Bluetooth ou la Wifi sans Hedy Lamar. Radia Perlman fut surnommée la « mère de l’internet » pour son invention de l’algorithme des protocoles STP. Margaret Hamilton a, quant à elle, codé le logiciel de navigation des missions Apollo de la NASA. La cryptologue britannique Joan Clarke a fait partie de l’équipe qui a décodé la machine Enigma qui servait à l’Allemagne nazie durant la guerre. Et Grace Hopper doit son surnom de « reine du software » pour plusieurs inventions qui contribuèrent à l’évolution des langages de programmation. Ces femmes ne sont que des exemples mais il y a plein d’autres noms à découvrir, comme dans cet article. Non seulement les femmes sont des pionnières dans le secteur informatique, mais jusqu’au milieu des années 1980, celui-ci représente le deuxième secteur où il y a le plus de femmes diplômées (20,3%). À l’époque, concevoir le matériel (hardware) était vu comme un « travail d’homme » (hard signifie dur en anglais). À l’inverse, la programmation (software) était perçue comme un « travail de femme » (soft signifie doux). Mais en 20 ans, la part des femmes dans l’informatique a été divisée par deux. Si leur nombre n’augmente pas, celui des hommes ne cesse de croître. Ces données sont issues d’un travail de recherche de l’enseignante-chercheuse Isabelle Collet. Ce secteur n’étant alors pas considéré comme ayant une forte valeur, il fut dévolu aux femmes. Mais à partir des années 1980, les ordinateurs ont commencé à devenir des objets de consommation courante et vendus comme des « jouets masculins ». Petit à petit, le secteur s’est ainsi largement masculinisé avec des conséquences concrètes en termes d’inégalités, pas seulement sexistes.

En 2017, l’entreprise Social Builder a conduit une enquête sur le sexisme dans la tech, et pour laquelle 1000 personnes (tous genres confondus) issu-es de formations tech et numériques en France ont répondu. Parmi les résultats avancés :

  • 53% des répondantes affirment avoir été l’objet de « blagues » sexistes.
  • 42% des répondantes affirment avoir été l’objet de remarques sexistes sur leurs compétences.
  • 38 femmes déclarent avoir subi du harcèlement sexiste, voire sexuel, pendant leur formation, soit près de 10% des répondant-e-s.

Enfin en 2019, le magazine Usbek & Rica a consacré un article sur la prolifération des assistants vocaux programmés par défaut avec une voix perçue comme féminine (Siri de chez Apple, Cortana de Microsoft, Alexa d’Amazon…), et comment cela vient renforcer les préjugés sexistes. La même année, l’agence créative Virtue et l’Université de Copenhague ont collaboré pour créer la première voix de synthèse non-genrée. Bien sûr, dans une société où la binarité de genre ne serait plus la norme, déclarer qu’une voix est « masculine », « féminine » ou « neutre » n’aurait plus de sens (on vous explique la différence entre sexe et genre dans notre lexique). Mais l’initiative reste intéressante, tout comme l’Ada Tech School située en plein cœur de Paris.

Ada Tech School
© Ada Tech School

Ada Tech School repose sur deux piliers : rendre plus égalitaire et paritaire les métiers du développement web et de la tech. Et s’appuyer sur la pédagogie alternative basée sur le faire, la bienveillance et l’autonomie.

C’est en ces mots que Claire Behaghel décrit l’école informatique féministe parisienne. La première promotion de l’Ada Tech School a été ouverte en octobre 2019. Depuis, des promotions de 15 personnes font leur rentrée trois fois par an. « On propose plusieurs rentrées dans une année car ça permet d’intégrer l’école à tout moment. », explique la directrice marketing avant d’ajouter : « Il n’y a pas de pré-requis ! Pas besoin d’un baccalauréat par exemple. Ce qu’on recherche avant tout, c’est tester la capacité d’autonomie de la personne. » La scolarité s’y fait en deux ans, dont une année en alternance. Sans quotas, les promotions sont composées d’en moyenne 30% d’hommes pour 70% de femmes. Claire Behagel certifie : « Ce qu’on souhaite, c’est faire de l’apprentissage un plaisir. Beaucoup de gens s’ennuient dans leurs études, ne savent pas ce qu’ils veulent faire une fois le cursus terminé. » La directrice marketing explique aussi que ce fut d’ailleurs le constat de départ de la fondatrice Chloé Hermary pour la création de l’école. « Notre credo c’est d’apprendre en se débrouillant par soi-même. Bien sûr, s’il y a vraiment un blocage, les encadrants sont là pour ça. Mais ils n’apportent pas de solutions. Ils aident à les faire naître. »

Nous n’avons ni des profs, ni des cours mais des encadrants et des projets. Pas de pédagogie ascendante et verticale mais du faire et de l’autonomie.

Ada Tech School
© Ada Tech School

Apprendre le code, entre autonomie et créativité

À l’Ada Tech School, il n’y a pas non plus de notation et encore moins de compétition. La formation s’appuie aussi sur des rituels. Chaque élève peut partager son ressenti sur sa journée à la fin de celle-ci par exemple. « Très peu d’entre nous avons appris que c’était ok de nous tromper ou encore de ne pas faire ce qui était prévu au départ. Quand on arrive à Ada, on déconstruit tout ça. C’est pas forcément facile au début. » Les encadrant-es sont eux-mêmes recruté-es vis-à-vis de ces valeurs et sont formé-es pendant deux jours à l’encadrement pédagogique. À 25 ans, Alice Vedrenne était auparavant étudiante aux Beaux-Arts de Marseille où elle a obtenu un Master de plasticienne. « C’est très compliqué de vivre avec un tel diplôme. Je voulais trouver une activité rémunératrice mais créative à la fois. » Elle raconte avoir suivi une initiation au code dans son ancienne école. « Je m’étais dit que coder n’était pas si inaccessible que ça en avait l’air. » Elle s’inscrit alors sur des cours en ligne OpenClassroom et se familiarise avec le code. « Artistiquement, c’est un super outil ! » Alice décide ensuite de se renseigner pour intégrer une formation professionnelle. Elle visite l’École 42, l’établissement supérieur de développement informatique fondé par le milliardaire Xavier Niel et visée par des affaires de comptes offshore et de harcèlement sexiste, comme le résume cet article de Médiapart. « J’étais très mal à l’aise durant ma visite, avec cet entre-soi très masculin et compétitif. Et puis j’ai trouvé Ada. », confie l’étudiante. Le fonctionnement, basé sur l’autonomie, ne lui change pas des Beaux-Arts. « Je ne me voyais pas repartir en cours classique sur une chaise tous les jours. Ici, on travaille beaucoup en groupe mais on est très autonomes. On apprend à apprendre, à rechercher par soi-même. Toute l’équipe est super bienveillante. À tel point que, quand je suis arrivée, je me suis dit que c’était des Bisounours. On est mis à l’aise très rapidement. » Le diplôme obtenu à l’issue de la formation est reconnu par l’État et celle-ci coûte 8000 euros avec plusieurs possibilités d’aides et d’accompagnements au financement.