Avertissement : Cet article contient des mentions de violences conjugales et de viols.

Dans un précédent article consacré à la transparentalité (être parent trans*), nous étions revenu sur les principaux enjeux qui entourent l’actuel projet de loi bioéthique et la Procréation Médicalement Assistée (PMA) en France. Parmi eux, l’absence de mesure prise concernant le principe d’appariement. Cette norme médicale consiste à choisir les gamètes d’un-e donneur-se en fonction de la personne receveuse afin qu’il y ait le même phénotype (couleur des cheveux, des yeux et de la peau, la taille…). Or, les dons d’ovocytes de personnes racisées sont rares en France, ce qui complique l’accès à la maternité pour celles-ci. En France, en 2017 :

  • 756 personnes ont fait un don d’ovocytes et ainsi permis 329 naissances.
  • A titre comparatif, il faudrait 1 400 donneuses d’ovocytes tous les ans pour répondre aux besoins des couples en attente.
  • Le temps d’attente pour recevoir un don d’ovocytes se situe entre 12 et 24 mois (il s’agit de la moyenne nationale sur les 29 centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS)). Mais ce chiffre peut facilement doubler en cas de « critères particuliers », comme une  peau noire.

En comparaison, il n’y a pas de listes d’attente en Espagne. Si la directive européenne de 2004 sur les tissus et cellules d’origine humaine impose des dons de gamètes « volontaires » et « non rémunérés », les donneuses d’ovocytes espagnoles reçoivent 1.000 euros de défraiement. Il est ainsi fréquent que des personnes en attente d’un don d’ovules dans leur pays choisissent d’y avoir recours à l’étranger, et l’Espagne fait partie des destinations privilégiées. Pour cet article, nous avons interviewé Sandrine Ngatchou à l’origine du compte OvocyteMoi sur les réseaux sociaux. Pour Lisbeth, elle nous a raconté son infertilité, son parcours PMA mais également sa prise de conscience finale sur son non-désir d’enfant. 

Illustration aquarelle d'une femme noire et de son bébé.
Illustration aquarelle d’une femme noire et de son bébé. © Croffle Studio – Shutterstock

Il y a des tabous au sujet de l’infertilité dans nos communautés. Une femme noire qui aura recours à un don d’ovocyte à l’étranger préférera garder le secret dans la plupart des cas.

Sandrine Ngatchou a 31 ans quand on lui diagnostique un utérus polyfibromateux et deux trompes bouchées en 2014. « J’avais des doutes depuis longtemps. Plus jeune, j’ai été en couple pendant 8 ans avec le même homme et il m’arrivait d’oublier ma pilule plusieurs jours de suite sans conséquences…» Lors d’un rendez-vous au Centre d’études et de conservation des ovocytes et du sperme (CECOS) de Schiltigheim, près de Strasbourg, la médecin qui la reçoit joue cartes sur table en lui disant : « En 8 ans, je n’ai jamais vu de donneuse d’ovocytes noire passer la porte du CECOS. » Il y a deux ans, une jeune femme de 21 ans a fait don de ses ovocytes au CHU de Rouen et raconte avoir été la première femme noire à en faire don dans cet établissement. Pour Sandrine Ngatchou, cette pénurie d’ovocytes de phénotype noir comporte plusieurs causes. « Il y a d’abord des méconnaissances et des tabous au sujet de l’infertilité dans nos communautés. Les femmes sont tellement stigmatisées et isolées qu’elles cultivent beaucoup de culpabilité. Une femme noire qui aura recours à un don d’ovocyte à l’étranger préférera garder le secret dans la plupart des cas. » À cela s’ajoute une invisibilisation systémique des communautés noires et des enjeux qui leur sont propres dans les médias. « La faute à cette culture universaliste chère à la France, où le neutre est blanc par défaut. », déplore Sandrine Ngatchou.

Sandrine Ngatchou envisage alors d’avoir recours à un don d’ovocytes de phénotype blanc. « Moi et mon compagnon de l’époque étions tous deux franco-camerounais. En voyant un enfant noir avec une peau plus claire entre nous deux, il aurait été facile de deviner l’infertilité dans notre famille. » Et son partenaire ne supportait pas cette possibilité. « Mon infertilité était un gros tabou entre nous. Notre relation était violente, il me dévaluait sans cesse. J’ai subi des viols. » Un soir, il lui donne deux coups de poing au visage et quatre coups dans les côtes. Sandrine Ngatchou quitte alors son conjoint mais se retrouve sans logement. « J’ai fini par envoyer la photo de mon visage en sang à tous ses amis en leur expliquant la situation. L’un d’eux m’a accueillie chez lui, il n’avait aucune idée que la situation était si grave. » Dans le même temps, son ex-conjoint la menace de mort. Elle perd 10 kilos. « J’ai eu des réflexions très violentes. Ma mère m’a dit “il t’a quand même acceptée avec ton infertilité !”. Au boulot je fermais la porte de mon bureau à clef pour pouvoir pleurer. » C’est alors qu’elle décide d’entamer une thérapie.

Parfois on fait des choix merdiques pour apprendre à se connaître. J’ai compris en thérapie que je ne voulais pas d’enfants.

Illustration aquarelle d'une femme noire et de ses enfants.
Illustration aquarelle d’une femme noire et de ses enfants. © Croffle Studio – Shutterstock

Fin de parcours PMA

Elle raconte sa perplexité lors des premières séances et ne pas savoir que répondre lorsque sa thérapeute l’interroge sur son désir d’enfant. Elle entreprend alors de poser la question aux personnes autour d’elle, et c‘est le déclic.
« Je ne me retrouvais dans aucune réponse. Les gens font un enfant pour cimenter leur couple, pour le patrimoine ou encore pour transmettre on ne sait pas bien quoi… » Sandrine Ngatchou se rend compte qu’elle désirait un enfant, durant toutes ces années, pour de mauvaises raisons. « J’ai compris que les gens se mentent beaucoup à eux-mêmes et inventent toutes sortes de prétextes pour justifier leur parentalité. »  La militante raconte avoir trouvé beaucoup de bienveillance auprès de la communauté childfree (personnes sans enfants par choix, NDLR). « Les femmes childfree m’ont beaucoup aidé. Ainsi que les mères qui regrettent de l’être. » À l’inverse, elle explique que ce ne fut pas le cas en parcours PMA. « Les femmes y sont tellement en souffrance, c’est très dur. Beaucoup d’entre elles ont appris à embellir leur souffrance, sauf que c’est une violence supplémentaire. Mais on nous apprend très jeunes à préserver les apparences. » En 2018, Sandrine Ngatchou arrête son parcours PMA. « En tout, j’ai dépensé 15 000€, dont un crédit de 8000€ que je viens de rembourser. Ça me fait chier quand j’y pense, mais aujourd’hui je suis enfin heureuse. » Désormais, elle consacre son compte OvocyteMoi à la déconstruction des notions de parentalité, de famille et de filiation.

La procréation, qu’elle se fasse par le coït ou avec la seringue du médecin, dans le fond, c’est pareil. Le vrai sujet n’est pas là. Pour moi, il est nécessaire de déconstruire la norme de famille telle qu’elle existe aujourd’hui. Mais parler d’abolir la famille suscite la peur chez beaucoup de gens.