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Comme dans tous les milieux professionnels, celui du vin ne déroge pas au sexisme. Quelques faits :
- En 2017 a lieu l’affaire Marc Sibard des Caves Augé, condamné pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles sur plusieurs femmes.
- Le milieu du vin compte 38% de femmes en vinification. La plupart des vigneronnes travaillent avec leur maris et les domaines sont souvent aux noms de ces messieurs. Celles qui se lancent seules doivent faire leurs preuves plus que les autres.
- Une association s’est créée en 2017 : il s’agit de WomenDoWine (les femmes font du vin, en français). Elle regroupe environ 370 adhérentes (contre 70 à sa création). Parmi elles, des vigneronnes, des viticultrices, des sommelières ou encore des journalistes du monde entier
Depuis décembre 2018, les ateliers de dégustation de vins Œnologouine ont du succès à Paris. Le rendez-vous a lieu une fois par mois au bar La Gorgée, créé par Delphine Aslan en novembre 2019, dans le 6e arrondissement parisien et près du Jardin du Luxembourg. Depuis 2018, elle anime les ateliers Œnologouine : des dégustations de vin en non-mixité choisie, c’est-à-dire entre femmes et/ou personnes sexisées. L’objectif est de rendre plus accessible un milieu qui est encore une chasse-gardée masculine. Elles sont dix-neuf à s’être inscrites à l’atelier de ce dimanche 26 janvier. « Normalement j’en accepte maximum quinze, mais je ne sais pas dire non », sourit Delphine Aslan, l’organisatrice un peu débordée ce soir. Elle et Marion, sa compagne, s’affairent à préparer la salle. Mise en place des chaises « il ne faut pas qu’elles me tournent le dos », préparer les plateaux de fromages, ouvrir les bouteilles à l’avance, les numéroter chacune de 1 à 10 et cacher leurs étiquettes avec des bandeaux noirs. « C’est pour ne pas qu’elles soient influencées en dégustant. » Dès 17h30, les participantes arrivent les unes après les autres. Lucile est l’une d’elles ce soir. Elle a 26 ans et elle a fait plusieurs dégustations de vin avec ses parents par le passé. « C’est toujours animé par des mecs. C’est très masculin et c’est pas facile de prendre sa place en général. Je trouve le projet Œnologouine vraiment chouette, c’est un rapport au vin très décomplexé et ça me fait plaisir de soutenir une telle initiative. »
Et puis pour une fois, il s’agit d’un événement en non-mixité meuf et queer où on ne parle pas de nos oppressions. Et ça, c’est important et ça plaît bien je pense.
Sur les dix-neuf participantes, quatre sont là pour la seconde fois. Toutes expliquent être venues afin de connaître un peu mieux leurs goûts en matière de vins, et ainsi se sentir plus légitimes notamment dans des dégustations en présence d’hommes. L’une d’elles témoigne :
Ma mère est vigneronne depuis les années 1980. Elle a entendu beaucoup de réflexions du genre : « si une femme vinifie alors qu’elle a ses règles, le vin va tourner au vinaigre. »
Deux autres renchérissent : « On était dans une cave le mois dernier, et c’est insupportable les réflexions qu’on a pu entendre de certains mecs ! D’autant plus que c’est toujours comme ça ! » Parmi les réflexions les plus fréquentes : « Ah ça c’est un vin de meuf, c’est très léger, c’est fait pour toi ça. »
« Le milieu du vin, c’est des mecs cisgenres, blancs et hétéros qui se la pètent. »
Delphine Aslan ne s’est pas intéressée au vin tout de suite. « Je travaillais dans le domaine de l’édition, spécialisée sur le vin et la cuisine, alors que je n’y connaissais rien du tout, ce qui est assez drôle. Et puis ça m’a emmerdée de bosser dans un bureau. » Elle enchaîne les petits boulots dans des restaurants, sans passion. « Vers 25 ans, je me suis rendue à l’évidence : c’est le vin que j’aime ! » La suite s’enchaîne assez vite : école de caviste pendant une année, elle en sort diplômée du WSET (Wine & Spirit Education Trust) de niveau 3. Quelques expériences professionnelles dans des caves sont suffisantes pour se rendre compte qu’elle s’y ennuie vite. « Autour de moi, les meufs et potes queer me disaient toutes qu’elles n’y connaissaient rien en vin, elles me demandaient de choisir pour elles des bouteilles, et qu’elles ne savaient pas ce qu’elles aimaient de toute façon. » L’idée lui vient alors de rendre accessible l’œnologie.
Le milieu du vin ce sont des mecs, cisgenres, blancs et hétéros. Ils n’ont aucun problème à te couper la parole, surtout quand t’es une femme. Ils ont accès à tout ce milieu, tout est fait pour eux et par eux. Ils ne connaissent pas le sentiment d’illégitimité. Et ils se la pètent.
Au total, ce sont dix vins qui sont présentés à chaque dégustation. « En général en dégustation professionnelle on en goûte quatre, mais ce soir mon but c’est vraiment de vous donner un aperçu assez large. », explique Delphine. Les bouteilles se succèdent. « Je ne vous propose que de bons vins, des choses travaillées. Mais vous ne pouvez pas tout aimer, c’est normal. Allez-y, à quoi ça vous fait penser ? » Chacune fait travailler son imaginaire. « Moi ça me rappelle comme un goût de fruits rouges. » ; « Moi du jus de chaussette ». La soirée va bon train, la bonne ambiance est au rendez-vous. À la fin, elles repartent toutes avec le sourire : un sentiment d’avoir appris quelque chose, d’avoir passé un bon moment.
Si vous repartez de la séance en sachant ce que vous n’aimez pas, c’est déjà énorme !
La suite, la militante l’envisage sans pression. « J’aimerais bien diversifier les soirées, en proposant une dégustation sur un cépage spécifique par exemple. Mais pour le moment j’ai surtout des débutantes, et je peux pas me dédoubler, donc on verra. »