Au Royaume-Uni, des études réalisées entre 2014 et 2016 ont montré que, sur 100 000 grossesses, le nombre de femmes noires qui meurent pendant ou des suites d’un accouchement est de 40, contre 8 pour les femmes blanches. Aux États-Unis, des études similaires indiquent que les femmes noires et natives-américaines ont des risques environ 3 fois plus élevés de mourir des suites d’un accouchement que les femmes blanches. En France, pour des raisons « d’universalisme », les statistiques ethniques sont fortement contrôlées. Il y a donc très peu de données françaises similaires à disposition. Mais les postulats racistes et post-coloniaux persistant malgré tout en France, les exemples sont nombreux. En 2017, à l’occasion du sommet du G20 à Hambourg, le président Emmanuel Macron avait lâché, en parlant des femmes africaines : « Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. » Comme l’a rappelé par la suite la politologue et militante décoloniale Françoise Vergès : « On rend les femmes du tiers-monde responsables du sous-développement. En réalité, on inverse la causalité : la plupart des études prouvent aujourd’hui que c’est le sous-développement qui entraîne la surpopulation. »

La théorie de la surpopulation évite aussi de questionner le rôle du colonialisme et de l’impérialisme dans la pauvreté.

Françoise Vergès

Illustration d'une femme noire enceinte.
Illustration d’une femme noire enceinte. © Anastasiia Smiian – Shutterstock

Il y a un gros manque de décolonisation dans nos communautés, et bien sûr aussi chez les blancs.

En janvier dernier, Tsippora a lancé un podcast baptisé « Tant que je serai noire ». Une référence directe à l’une des œuvres littéraires majeures de l’écrivaine Maya Angelou. « C’est une autrice que j’adore ! Elle est devenue mère malgré elle, à 16 ans. Son rapport à la maternité est très intéressant », explique la militante. À travers son podcast, Tsippora interroge des femmes noires sur leur non-désirs de maternité, ou à l’inverse leur désirs et vécus de mères. Elle raconte « avoir dû se battre » pour affirmer son choix de ne pas avoir d’enfant. Un choix mal compris, selon elle, dans les communautés afro. « Je trouve que dans nos communautés, les tabous sont très forts. On évolue dans une société blanche qui répercute beaucoup de clichés racistes, comme sur la mère noire, perçue comme la “mama” par exemple. » Si une femme blanche sera souvent jugée pour son non-désir de maternité, les femmes noires vivent une double oppression sur ce sujet, à la fois sexiste et raciste. Dans les années 1960 et 1970, des millions de stérilisations et d’avortements forcés ont été pratiqués à La Réunion. C’est le sujet du livre « Le ventre des femmes » paru en 2017, écrit par Françoise Vergès.

Portrait de Tsippora.
© Tsippora.

Pendant la colonisation, le nerf de la guerre c’était le ventre des femmes noires. Pour avoir d’autres esclaves, les femmes noires étaient utilisées comme des machines à bébés.

Depuis quelques années, la parole se libère concernant les violences gynécologiques. Là encore, les femmes noires (et plus largement, racisées*) vivent une double oppression. « Il y a plein de clichés racistes hérités de la colonisation qui perdurent encore aujourd’hui. Par exemple, il était commun de dire que les femmes noires avaient des bassins trop petits, et qu’il fallait donc systématiser les césariennes. » Pour son podcast, Tsippora a interviewé une docteure qui a vécu une césarienne durant son accouchement sans en comprendre les véritables motifs. « Aujourd’hui encore, elle se pose la question de savoir si cette césarienne était vraiment justifiée ou pas… » Mais qu’en est-il de l’Histoire avant la colonisation ? « J’aimerais beaucoup interviewer une sociologue ou une historienne par rapport à l’avant-colonisation, à notre histoire avant l’esclavage. Comment ça se passait ? Qu’est-ce que qui a été importé par la colonisation ? De tout ça, on a très peu de traces. » Pour la suite Tsippora partage ses autres envies : « J’aimerai tellement parler avec une mère qui regrette de l’être », confie-t-elle. « C’est un sujet très intéressant et encore très tabou. En général, la plupart de ces mères expliquent qu’elles aiment leurs enfants, ne serait-ce qu’en tant qu’être humains. Mais voilà, le rôle de mère les fait chier. » Pour la suite, Tsippora veut représenter une variété de points de vues, de situations et de vécus. « Jusqu’à présent, les femmes avec qui j’ai échangé sont, certes noires, mais privilégiées malgré tout. Ce sont des femmes qui ont le temps et la possibilité de réfléchir à toutes ces problématiques. Et du coup ça vient poser la question de l’intersectionnalité*. » 

Trois podcasts sont disponibles pour le moment. Le rendez-vous est fixé chaque premier lundi du mois.