Avertissement : si vous n’avez jamais vu le film dont il est question, l’article ci-dessous contient de nombreux spoilers.

Dans notre précédent article consacré à l’inceste, nous avions interviewé des membres du Collectif de Réflexion sur l’Inceste et les Maltraitances Systémiques (CRIMS). Quelques jours avant notre entretien, l’une d’elles a posté ce thread Bluesky, dans lequel elle dépeint le film « The Truman Show » comme une allégorie de ce qui constitue l’incestuel. À Lisbeth, elle explique : « J’ai adoré ce film pour plein de raisons, mais qui n’ont rien à voir avec le propos direct, soit les enjeux autour de la télé-réalité. L’idée d’enfermement, du contrôle absolu et d’absence d’agentivité que l’on retrouve dans le film, c’est ce dont j’ai le plus souffert dans ma famille. C’est important pour moi de le dire, car ce ne sont pas forcément les abus sexuels dont on souffre le plus. Ça m’a évidemment traumatisée, mais ce qui a été le plus traumatisant pour moi, c’était avant tout la maltraitance qui sous-tend l’inceste avant que celui-ci n’advienne. » Avec son accord, nous avons pris son thread Bluesky comme point de départ pour rédiger cet article.


Synopsis

Truman Burbank (interprété par Jim Carrey) mène une vie calme et heureuse dans une petite ville en bord de mer. Marié et travaillant dans une agence d’assurances, il ignore être la vedette d’une télé-réalité diffusée dans le monde entier. Depuis sa naissance, chaque moment de sa vie sont scriptés et mis en scène à son insu. Le monde dans lequel il évolue est factice et les personnes qui composent son entourage sont des acteurs. Peu à peu, il va découvrir la vérité.

L'affiche du film "The Truman Show".
L’affiche du film. © Paramount Pictures.

Nous acceptons la réalité du monde qui est présenté à nous. C’est aussi simple que ça.

Extrait du film.

Né sous les yeux d’un milliard sept-cent mille personnes à travers le monde, Truman est adopté par un studio de télé-réalité dirigé par un certain Christof, créateur de l’émission « The Truman show. » Diffusée 24h/24 et 7j/7 par le biais de 5 000 caméras cachées, son décor est construit sous un énorme dôme qui abrite une île, baptisée Seahaven. Christof en contrôle tous les éléments, y compris météorologiques. L’intégralité de la population de Seahaven est composée d’acteurs et d’actrices qui réalisent de temps à autres les placements de produits qui permettent au show télévisé de prospérer. Truman est ainsi le seul être humain authentique de Seahaven. Depuis qu’il est bébé, sa vie est fabriquée de toutes pièces par Christof. Ses joies, ses espoirs, ses peines… Tout est scripté et joué, faisant de Truman une marionnette au service d’une audience et de l’ego de son créateur. Chaque matin, lorsqu’il sort de chez lui, Truman récite – le plus spontanément du monde – la phrase : « Bonjour ! Et si je ne vous revois pas : bonne après-midi, bonne soirée et bonne nuit ! » Énoncée automatiquement depuis son plus jeune âge, Truman ne se doute pas qu’il s’adresse en réalité à une caméra cachée et, derrière elle, à des millions de téléspectateurs qui ne vivent pas sous le même fuseau horaire. Aussi, pour l’empêcher de découvrir la vérité, des scénarii sont soigneusement élaborés. Ainsi, lorsqu’il est enfant, Truman croit assister à la mort par noyade de son père, simulée par une fausse tempête marine. Le traumatisme de l’événement lui occasionne une phobie de l’eau, qui le maintient loin de la mer qui entoure l’île. 

Truman se rend dans une (fausse) agence de voyage. De nombreuses affiches au mur se font les annonciatrices des plus grandes catastrophes.
Truman se rend dans une (fausse) agence de voyage. De nombreuses affiches au mur se font les annonciatrices des plus grandes catastrophes. © Paramount Pictures.

« Le monde extérieur est dangereux » : comment maintenir Truman en captivité.

La réalité alternative exposée (et dénoncée) dans le film entre ainsi en résonance avec celle dont peut faire l’expérience un enfant qui grandit dans une secte, ou encore dans une famille aux normes alternatives, telles que des familles incestuelles (et/ou incestueuses). Truman se meut dans un univers factice dont il est prisonnier sans même le savoir. Dépeindre le monde extérieur comme menaçant et dangereux, permet de présenter Seahaven comme son antagoniste : soit un endroit sur Terre idéal et idyllique, dans lequel chacun vit en sécurité. Ainsi, comme dans de nombreuses dystopies, l’île factice Seahaven s’apparente à un projet politique vantant un certain idéal de sécurité, d’ordre et de bonheur. Les habitant-es qui composent l’île sont, en grande majorité, des personnes blanches de classe moyenne. Christof lui-même affirme, lors d’une interview : « C’est le monde réel qui est malade. Seahaven, c’est le monde tel qu’il devrait être. » Cette vision d’un « monde parfait », est véhiculée par les autres protagonistes de l’émission qui gravitent autour de Truman.

Parce que « c’est pour ton bien. »

Mensonge, manipulation, culpabilisation, violences psychologiques… : les stratagèmes utilisés pour maintenir Truman en captivité sont légion. Le système tout entier dans lequel Truman déambule est bâti sur le bafouement de son intimité et de son agentivité, la coercition et la manipulation. Depuis son plus jeune âge, Truman questionne les limites de son propre monde. Les acteurs et actrices qui jouent les rôles de ses parents, de ses amis ou encore de son épouse prennent part au mensonge et usent de ces stratagèmes pour le garder dans l’ignorance. Le recours à la manipulation émotionnelle et au chantage affectif est particulièrement édifiant. Les personnes qui manipulent et exploitent Truman le justifient toutes, d’une manière ou d’une autre, par le biais de l’amour et de la protection. Les équipes travaillant dans les coulisses de l’émission portent des t-shirts affichant des messages tels que : « Love him. Protect him. » Son épouse Meryl est infirmière (pour de faux, bien sûr), et incarne ainsi une figure de soin, de care, de sollicitude. La mère de Truman, quant à elle, n’hésite pas à sortir l’album photo et à l’abreuver de souvenirs familiaux pour court-circuiter les moindres doutes et soupçons de Truman, l’entraînant ainsi à ré-adhérer à sa réalité alternative, encore et encore. Enfin, Christof se définit lui-même comme un père qui veille en cachette, et tendrement, sur ce qu’il considère être son fils, et plus encore, sa création, son œuvre. À la fin du film, lorsque Truman cherche à s’échapper de Seahaven, Christof a largement recours à la manipulation émotionnelle : « Il n’y a pas plus de vérité dehors, qu’il n’y en a dans le monde que j’ai créé pour toi. Dehors, il y a les mêmes mensonges, les mêmes déceptions. Mais dans mon monde, tu n’as rien à craindre. » Il poursuit : « Truman, je te connais mieux que tu ne te connais toi-même. Je t’ai vu naître, faire tes premiers pas. J’ai assisté à ton premier jour d’école. Tu ne peux pas partir Truman. Ta place est ici, auprès de moi. »

Truman, entouré des actrices qui endossent les rôles de sa mère et de sa femme.
Truman, entouré des actrices qui endossent les rôles de sa mère et de sa femme. © Paramount Pictures.

Et la société, dans tout ça ?

Durant ses années étudiantes, Truman s’éprend de l’une des figurantes présentes sur le tournage : Lauren (Sylvia, dans la vraie vie). Elle n’est pas autorisée à lui parler, et lorsque Sylvia tente de lui faire comprendre qu’il ne peut faire confiance à personne, que tout est mensonge autour de lui, elle est rapidement retirée de l’émission. En parallèle, Christof choisit d’introduire le personnage de Meryl, qui interprétera la femme de Truman pour les années à venir. Au fur et à mesure, Truman va commencer à mettre en doute ce qui l’entoure. Il remarque des éléments inhabituels et incongrus dans son environnement. En adoptant une attitude spontanée et imprévisible, il provoque celui-ci de plus en plus, jusqu’à découvrir la vérité. Mais en-dehors de Sylvia, rares sont les personnes qui tendent la main à Truman. Les spectateurs et spectatrices du programme télévisé sont les témoins passifs et voyeuristes sans lesquels l’émission n’aurait jamais pu exister en premier lieu. Leur passivité fait d’eux des complices du système duquel Truman est victime. Lorsque Truman tente de s’échapper, au péril de sa vie, ils sont tous galvanisés devant leur postes de télévision. Certains font des paris sur sa capacité à survivre ou non. Pourtant, tous ces témoins passifs souhaitent le voir s’échapper : mais par ses propres moyens uniquement.