Les premiers collages féministes sont apparus sur les murs de Paris à l’été 2019. Depuis, l’initiative a été reprise un peu partout sur le territoire français et dans onze pays étrangers dont le Canada et la Syrie. Se réapproprier l’espace public, libérer la parole, sensibiliser sur les discriminations sont autant d’enjeux qui concernent à la fois les grandes villes comme les plus petites communes. En 2017, le ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes avait lancé un plan d’action et de mobilisation contre le sexisme. Parmi les chiffres clés tirés de cette démarche :

  • 100% des utilisatrices des transports en commun franciliens ont déjà été victimes d’harcèlement sexiste ou d’agressions au moins une fois dans leur vie.
  • 95% d’hommes occupent des équipements type skateparks.
  • 75% des budgets publics sont destinés aux loisirs jeunes profitant aux garçons.
  • 40% de femmes ont déjà renoncé à fréquenter des lieux publics suite à du sexisme.
  • 2% des rues de France portent un nom de femme.

En zones rurales, l’absence d’anonymat, l’isolement, le manque de structures spécialisées ou encore les déserts médicaux peuvent accentuer certaines problématiques comme celles liées aux violences conjugales. En 2016, la première étude consacrée à ces violences en milieux ruraux est publiée à l’initiative de l’association Paroles de Femmes de Gaillac dans le Tarn et conclue qu’entre 44,6% et 55,5% des féminicides ayant été commis entre 2010 et 2014 ont eu lieu en milieu rural, alors même que les femmes rurales représentent 32% de la population féminine du pays. Les données de cette étude proviennent des régions Pays de la Loire et Midi-Pyrénées. En 2020 à la Réunion, une analyse commandée par l’Observatoire Réunionnais des violences faites aux femmes fait le constat de 49 féminicides en 12 ans sur le territoire, 38% d’entre elles avaient porté plainte ou déposé une main courante. Pour rappel, il y a eu 152 féminicides en France en 2019. Pour donner de la visibilité à ces enjeux, crier leur colère et affirmer leur solidarité avec les victimes de violences (et les populations victimes de discriminations au sens large), quelques colleuses des campagnes continentales et insulaires ont raconté leurs actions pour Lisbeth.

Une session de préparation des affiches à la Réunion. © Elena Raymond (gracieuseté de la photographe).

Ici, une femme victime de violences c’est beaucoup plus facile de l’isoler. Il suffit qu’elle n’ait pas de voiture…

Léa, 20 ans, est étudiante et membre des collages parisiens. C’est lors de ses retours ponctuels dans sa famille à Sablé-sur-Sarthre dans les Pays de la Loire qu’elle s’aperçoit de l’importance de faire la même chose dans son village d’origine. « On a fait nos premiers collages à Sablé le 14 septembre 2019. Depuis on est une quinzaine de personnes mais en tout il doit y avoir quatre ou cinq membres vraiment actif-ves. » Elle raconte avoir de bons retours de la population. « Les enjeux en milieux ruraux ne sont pas du tout les mêmes, c’est hyper important de coller absolument partout », explique l’activiste. « On veut d’ailleurs commencer à coller sur des enjeux féministes plus locaux. » Julie* et Diane* ont 23 ans et sont colleuses à Billom, une commune de moins de 5000 habitant-es en Auvergne, (les prénoms ont été modifiés). Tout comme Léa, elles affirment la pertinence de « coller sur les violences sexistes dans les villages et aussi de faire de la pédagogie sur les problématiques LGBTIA par exemple. » Elles racontent préparer des petites affiches explicatives qu’elles collent à côté de certains de leurs collages. « À Paris, il y a un certain code graphique très reconnaissable. La majorité des gens qui voient un grand collage où il est écrit “Je te crois”, comprennent qu’il s’agit d’un message féministe et destiné aux victimes de violences. Mais en campagne, les gens n’ont pas le message. » L’une des difficultés rencontrées par les deux billomoises est le manque d’espaces pour coller. « Ici il n’y a pas d’immeubles, et on essaie de coller ailleurs que sur des murs privés de maisons. Mais ça laisse peu d’espaces et on a pas vraiment de grande surface murale pour coller de grands messages. » Léa quant à elle explique que les collages de son collectif tiennent rarement plus d’une journée. « La grosse différence en ruralité, c’est que les agents municipaux les enlèvent très rapidement au karscher. Un collage ne tient généralement pas plus d’une journée, parfois que quelques heures. C’est très frustrant. » Elle explique coller environ une fois par mois, mais la plupart des membres sont toutEs en études dans des grandes villes. « C’est compliqué de fédérer des gens. La grosse majorité de nos membres étudient ailleurs. Et les lycéennes mineures ne peuvent pas coller avec nous à cause des risques juridiques. » Mêmes problématiques pour Julie et Diane. « Au début, nos premiers collages étaient enlevés dès le lendemain avant 10h, ce qui était très frustrant. » Avec l’intermédiaire d’une association féministe lyonnaise, le conseil municipal de Billom a depuis voté pour laisser les collages une dizaine de jours sans les effacer. « On a réussi à amener un dialogue, on est super contentes ! »

Le drapeau réunionnais aux couleurs des fiertées LGBTQIA+
Le drapeau réunionnais aux couleurs des fiertées LGBTQIA+ © Isabelle Luminet (graphisme) et Elena Raymond (photo) (gracieuseté de la photographe).

Un accueil plus chaleureux des collages à La Réunion

On a mis un mois pour s’organiser avant de faire notre premier collage. Le hasard a voulu que ça coïncide avec la nomination de Darmanin au ministère de l’Intérieur.

Pam* (prénom modifié) a 25 ans et elle vit depuis deux ans à la Réunion. « J’ai répondu à l’appel d’une réunionnaise sur Instagram, et je l’ai rejointe avec une autre copine. On a ensuite recruté des membres jusqu’à être une quinzaine. » Les débuts sont un peu compliqués. Les membres sont éparpillées sur toute l’île et n’ont pas forcément de véhicule. Pour leur première fois, elles collent alors quatre messages et les publient sur les réseaux sociaux. « On a reçu beaucoup de messages de soutien en retour, et même les mecs sont nombreux à nous encourager ! » Selon elle, si leurs collages sont bien reçus par la population c’est grâce à la culture très présente du street art sur l’île. « Beaucoup d’artistes comme Jace vivent ici. La réappropriation des murs et de la ville existe déjà. » Leurs collages sont en langue créole et sensibilisent surtout sur les violences intrafamiliales et conjugales. « Il y a beaucoup de tabous ici sur ces questions. Et les mœurs religieuses, catholiques comme tamoules, sont très importantes. » Récemment, elles ont collé pour réclamer une marche des Fiertés LGBTQIA+ à la Réunion. La graphiste Isabelle Luminet a retravaillé le drapeau réunionnais  en y intégrant les couleurs du drapeau des fiertés. « Ça a été très facile de s’en emparer, même les colleuses qui sont à l’autre bout de l’île peuvent l’imprimer et le coller partout. »