Nos imaginaires sont façonnés par des représentations issues de la colonisation et de l’esclavage. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) analyse tous les deux ans la représentation des diversités à la télévision. Le dernier baromètre publié en janvier 2019 annonce que « les personnes « perçues comme blanches » restent majoritairement représentées (83%) ». L’invisibilisation des personnes racisées et plus particulièrement des femmes noires passe aussi par une prépondérance de stéréotypes, comme l’exotisation et l’animalisation de leurs corps, ou encore le colorisme (discrimination favorisant les personnes noires à peaux claires). C’est d’ailleurs le cœur du sujet du documentaire « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay, sorti en 2017 et dans lequel vingt-quatre femmes noires témoignent de leurs vécus face au racisme systémique. Plus récemment, l’actrice Aïssa Maïga a prononcé un discours percutant sur ces représentations au cinéma lors de la cérémonie des Césars en février 2020.

La fanfare 30 nuances de noir-e-s. © SEKA (gracieuseté du photographe).

Avec la fanfare, on est pas du tout à l’endroit où on nous attend. C’est une forme de résistance et de réappropriation de l’espace public. On inverse et réinterroge l’imaginaire.

Sandra Sainte-Rose Fanchine est chorégraphe et danseuse professionnelle. En 2017, elle a créé la fanfare 30 nuances de noir-e-s. « J’insiste toujours sur le fait que je n’ai pas créé une parade événementielle ! J’ai tout réfléchi pour que ce soit une performance artistique et politique. » Inspirée des fanfares de la Nouvelle Orléans, 30 nuances de noir-e-s compte pas moins de dix danseuses, onze musiciennes (dont deux musiciens) ainsi qu’une comédienne. Jouée une quinzaine de fois jusqu’à présent, la fanfare performe notamment des reprises musicales telles que Four women de Nina Simone, Lady de Fela Kuti, la version de la Vie en rose de Grace Jones ou encore Pep Rallye de Missy Elliott. « Ce sont des titres qui parlent des femmes noires. Le fait de choisir des morceaux déjà existants rend encore plus évident le fait qu’il s’agit d’expériences partagées et d’un vécu collectif. » Elles chantent aussi a capella le morceau Fuck you Symphony de Millie Jackson. L’esthétique des costumes, quant à elle, est inspirée de l’univers afrofuturiste. « On met l’accent sur les couleurs métalliques dorées et argentées, le sequin… » Sandra Sainte-Rose Fanchine explique avoir voulu survisibiliser les femmes noires. « Je voulais proposer une création en-dehors de l’imaginaire existant, avec des femmes noires sublimées. Survisibilisées. » Survisibiliser pour pallier à l’invisibilisation des femmes noires dans les représentations sociales. C’est tout l’intérêt d’une performance dans la rue. « Ce qu’on cherche, c’est à sortir les gens de leur zone de confort et montrer la flamboyance et la diversité des femmes noires. »

La fanfare pendant le festival genevois Les Créatives. © Nicolas Dupraz (gracieuseté du photographe).

On veut sortir les gens de leur zone de confort et montrer la flamboyance et la diversité des femmes noires.

Sandra Sainte Rose Fanchine est martiniquaise et a grandi en Côte d’Ivoire jusqu’à ses 17 ans. Elle a ensuite entrepris des études de design et de graphisme à Paris et obtient son diplôme en 1994. Mais en tant que femme et en tant que Noire, s’insérer sur le marché du travail à hauteur de ses compétences s’avère difficile. « J’avais pour loisir le hip hop. Je suis donc repartie de zéro et j’ai refait mon parcours en devenant danseuse professionnelle à 35 ans. » Elle raconte avoir eu l’envie de créer une fanfare funk dès les années 2000. « Je voulais raconter mes histoires à travers la danse. » En parallèle, elle s’interroge aussi sur la vie affective des femmes noires. « Je me suis aperçue qu’il y avait un vécu commun dans l’expérience du rejet. Mais quand je parlais du fait que les hommes noirs ont tendance par exemple à privilégier les femmes blanches pour leurs relations sérieuses, on me disait que je faisais du “racisme anti-blancs”, ou du racisme tout court. » En 2016, elle suit des études de genre à l’université Paris 8 pendant deux ans, et constate, là encore, l’absence de représentation des femmes noires comme sujet d’étude. « Les femmes noires ne sont pas un sujet en Histoire du genre. Mais tous les sujets féminins européens ne sont pas blancs ! » Elle se rapproche alors du collectif afroféministe Mwasi. « Par son intermédiaire, j’ai commencé à mettre des mots sur tout ça à travers des partages d’expériences. » Depuis le lancement de la fanfare, Sandra Sainte-Rose Fanchine reçoit des retours très positifs : « Beaucoup de femmes noires nous disent qu’elles se sont senties valorisées et que ça leur a donné de la force. » Les prochaines représentations ont lieu le 27 septembre 2020 à la Faïencerie de Creil et le 03 octobre 2020 aux francophonies de Limoges.