« On est passé de quelques cas par mois à plusieurs par jour ». Voilà comment l’ancien directeur du centre LGBTQI+ de Paris, Hervé Latapie, résume la hausse des demandes d’asile au motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Le résultat de restrictions constantes sur les autres titres de séjour et d’une répression grandissante des minorités sexuelles dans le monde. En janvier 2024, il a lancé Melting Point LGBT+, une association spécialisée dans ce type de demandes et basée à Paris. En l’absence de chiffres officiels, la multiplication de ces associations en dit long sur le besoin d’un accompagnement spécifique. Il faut dire que la démarche se heurte à l’impossible : prouver la crédibilité de son orientation sexuelle ou de sa dysphorie de genre. Pour rappel, la loi prévoit d’accorder l’asile en cas de craintes légitimes liées à « l’appartenance à un certain groupe social », dont les minorités sexuelles et de genre. Si l’asile est accordé, la personne obtient le statut protecteur de réfugié·e. Mais pour Constance, militante de l’association marseillaise spécialisée GLAM 13, il est toujours difficile d’y avoir accès.
Une personne réprimée pour ses idées politiques peut parfois avoir des preuves comme une carte d’adhésion, mais ça n’existe pas pour l’orientation sexuelle.
Vivre son homosexualité…
L’association, pionnière dans la région, aide une cinquantaine de demandeur·euses d’asile par an à élaborer un récit de vie. C’est le document central qui sera étudié lors de l’entretien avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), service de l’État en charge de la question. Pour compenser l’absence de preuve, il faut souvent montrer une proximité avec le milieu queer une fois arrivé en France. « L’Ofpra est très regardant sur les lieux LGBT fréquentés, les soirées, le fait de participer à la Pride », explique Ash du Glam 13. « C’est difficile, tous ne parlent pas la langue, tous n’ont pas envie », développe le militant. Cette vision normée des personnes LGBT+ est d’autant plus dérangeante lorsque l’on touche à l’intime. « Dans les questions, il y a la notion de prise de conscience de l’homosexualité. Mais c’est impossible, si on demande la prise de conscience de l’hétérosexualité, personne ne sait répondre », s’agace Hervé Latapie. « C’est conseillé d’illustrer au maximum le fait d’avoir eu des relations amoureuses, sexuelles », dénonce de son côté Ash. Un problème renforcé pour les minorités les moins visibles. Selon le GLAM 13, les personnes trans choisissent le plus souvent de demander l’asile au motif de l’orientation sexuelle, déjà un peu plus présente dans l’imaginaire collectif.
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… mais pas trop
Le propre d’un demandeur d’asile, c’est qu’il raconte son histoire tout le temps. C’est un passé traumatique qui réveille des choses.
Mais l’imaginaire autour du pays d’origine influe lui aussi. Ainsi, une vie affective trop active pourrait paraître suspecte, car jugée peu crédible dans un pays où cela est réprimé. Or les mœurs et lois d’un pays ne représentent jamais fidèlement les pratiques. Des retranscriptions d’entretiens avec l’Ofpra, que nous avons pu consulter, donnent le ton : « Donc dans un pays où c’est un crime, il ne prend aucune précaution pour éviter que vous tombiez sur ces photos [d’un baiser entre deux hommes] ? » Ou encore : « Comment faisiez-vous pour ne pas être surpris ? » Ces retranscriptions sont envoyées aux demandeur·euses lorsque leur demande est rejetée, afin de préparer un éventuel recours. Dans ces deux exemples, le manque supposé de précautions est retenu parmi les motifs du refus de la demande d’asile : « Les circonstances dans lesquelles il a fréquenté des personnes homosexuelles sans prendre de précautions particulières [apparaissent] peu crédible au regard de l’hostilité de la population et des autorités ». De quoi franchement agacer Constance : « En gros, il faut prouver que tu as bien vécu ton orientation sexuelle, mais aussi que tu l’as bien caché ! ». Face à ce constat, le Défenseur des droits a commandé une étude en 2020 alertant sur la teneur des entretiens : « Certaines questions posées laissent encore entrevoir une image stéréotypée de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre de la part des autorités ou, tout au moins, une représentation des sexualités trop occidentalisée. ». L’institution pointe alors le manque de formation du personnel de l’Ofpra. D’autant que raconter son récit de vie est déjà un exercice douloureux en soi. « Le propre d’un demandeur d’asile, c’est qu’il raconte son histoire tout le temps. C’est un passé traumatique qui réveille des choses », précise Ash.
Une politique du chiffre qui touche tout le monde
Contacté, l’Ofpra assure que son personnel est désormais obligatoirement formé aux questions LGBT+ : « Appréhender ces identités dans leur diversité autant que dans leur fluidité est au cœur de la démarche préconisée lors des formations, qui soulignent également qu’une perception évolutive de soi peut s’exprimer ». Un changement auquel veut croire Gérard Sadik, responsable asile de La Cimade, l’une des principales associations dans le domaine : « Il y a un peu moins de questions dérangeantes. Dans le passé, j’ai vu des entretiens vraiment bizarres ». Le responsable le reconnait cependant, il ne traite quasiment plus ces cas : « Maintenant, on envoie presque systématiquement vers les associations spécialisées. » Ces dernières tempèrent nettement plus cet enthousiasme. Hervé Latapie montre une certaine lassitude en évoquant les retranscriptions d’entretiens, qu’il ne connait que trop bien : « Quand on a des lettres de refus, c’est toujours les mêmes critères : propos lapidaires, manque de spontanéité. C’est hyper subjectif ! » Un sentiment d’arbitraire d’autant plus fort que le motif d’asile des personnes LGBT+ est, par nature, difficile à prouver. Mais selon Hervé Latapie, cette incertitude serait aussi le symptôme de logiques plus larges, comme la pression à limiter le nombre de protections accordées : « Il y a une pression à refuser les gens, ne pas dépasser les quotas. En fin d’année, ce n’est généralement pas bon. On imagine que la direction demande d’appuyer sur le frein. » Une pression du chiffre de la hiérarchie déjà pointée dans un rapport gouvernemental, révélé par Mediapart l’an passé.
L’une des spécificités des migrants LGBT, c’est que les premiers à les avoir rejetés, c’est leur propre famille.
C’est ce désaccord avec le système qui pousse les deux associations à ne pas demander de subventions de l’État. « Recevoir des fonds de l’État quand tu fais un recours contre lui, ce n’est pas très cohérent. Politiquement, le Glam 13 est opposé aux nouvelles politiques de contrôles aux frontières et d’expulsion », explique Constance. Tout comme le Melting Point, l’association marseillaise souhaite se différencier par son aspect communautaire. Les personnes aidées restent en contact après leurs démarches pour constituer un réseau d’entraide et d’amitié. Un nouveau cercle de proches nécessaire pour Hervé Latapie : « L’une des spécificités des migrants LGBT, c’est que les premiers à les avoir rejetés, c’est leur propre famille ».
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