En 2020, 90 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en France, contre 146 l’année précédente. C’est le chiffre le plus bas depuis 2006, année où le gouvernement a commencé le recensement des victimes de féminicides*. La Fondation des femmes estime que les mesures provisoires mises en place à cause de l’épidémie de coronavirus ont permis de sauver des vies, malgré la hausse des signalements de violences durant les périodes de confinement. En 2019, à l’issue du Grenelle contre les violences conjugales qui avait duré près de trois mois, le gouvernement avait annoncé 46 mesures de lutte contre les violences patriarcales. Parmi celles-ci : la création de places d’hébergement d’urgence supplémentaires pour les victimes, le déploiement progressif de bracelets anti-rapprochement pour éloigner les (ex) conjoints violents ou encore la formation de professionnel-les de santé en addictologie… La ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, avait également annoncé l’ouverture de 30 centres de « prises en charge psychologiques, médicales et sociales » pour les auteurs de violences sur tout le territoire français, avec deux centres par régions en moyenne. Ces créations de centres sont issues d’appels à projets de structures déjà implantées sur le territoire et doivent être financés à 70% par l’État et les 30% restants par des collectivités et partenaires privés. Le budget représente 4 millions d’euros pour l’année 2021. L’annonce a fait débat car le budget mobilisé est le même que celui dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes, déjà bien insuffisant pour les seules victimes.

Selon le bulletin d’information statistique du ministère de la Justice publié en février 2018 concernant le traitement judiciaire des violences conjugales, en 2015 : 

  • 78 400 personnes mises en cause pour des faits de violences conjugales ont vu leur affaire traitée par la justice prendre fin.
  • Pour 68% d’entre elles, 9 cas sur 10 ont reçu une réponse pénale (pour les 32% restants, l’infraction a conduit à un classement sans suite.)
  • Parmi ces 9 cas sur 10, 4% d’entre eux ont reçu une mesure alternative aux poursuites, le plus souvent avec une obligation de suivi social et médical ou une amende. Cela représente un peu plus de 2000 personnes sur les 78 400 mises en cause.

La prise en charge des auteurs de violences conjugales peut s’effectuer en libéral ou dans l’une des 37 structures adhérentes de la Fédération nationale des associations et des centres de prises en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV). 

 © Collages féministes Saint-Etienne

Je n’ai encore jamais rencontré un auteur de violences conjugales qui revendique sa violence comme une solution.

L’association Passible a été créée il y a 11 ans à Grenoble. Le psychologue Clément Ségissement y est membre depuis environ un an. « À la base, l’association travaillait à la prise en charge des victimes de violences conjugales. Mais les membres de l’époque se sont vite rendus compte que si on ne travaille qu’avec les victimes, ça ne suffit pas à faire évoluer la société. » L’association se consacre maintenant à la prise en charge des auteurs de violences. Passible compte 4 psychologues qui se partagent un temps partiel. En 2020, l’équipe a pris en charge 109 personnes en tout. Les consultations se font dans les locaux de la Maison de la Justice et du Droit et les profils sont variés. Certains auteurs de violences entament une démarche de soins volontairement. À l’inverse, d’autres viennent consulter par obligation de soins suite à un contrôle judiciaire, avec ou sans condamnation. « Certains sont d’emblée demandeurs d’une aide psychologique et la demande émerge rapidement. D’autres considèrent n’avoir aucun problème. Dans ce cas, on essaye le plus possible de les amener à faire émerger une prise de conscience. Beaucoup d’auteurs s’identifient à leur violence, et ça, c’est une vraie problématique. » À Passible, thérapeutes et patients mettent en place des stratégies à court et à long terme. Les personnes prises en charge sont ainsi encouragées à noter chaque jour leurs épisodes de colère et de violence dans un agenda. « Ça permet de savoir s’ils sont en mesure de prédire les crises afin de pouvoir modifier le scénario en amont », précise Clément Ségissement. « On a une grosse responsabilité. On les fait travailler sur leurs histoires, d’où vient leur violence, ce qui les a construit ainsi… Mais ça, c’est du travail à long terme et ça prend du temps. Le soir, quand ils rentrent chez eux, il faut pouvoir mettre en place des stratégies pour éviter les violences, parce que c’est un danger avec des conséquences qui peuvent être très graves. » Dans le cadre d’une obligation de soin suite à un contrôle judiciaire, la durée d’une thérapie peut aller de quelques mois en cas de non condamnation, à deux ans ou plus avec condamnation. Concernant les personnes volontaires, les durées sont très variables, tout comme les résultats. « Avec la thérapie, des couples se séparent et en sont souvent très heureux. D’autres couples restent ensemble et les liens sont très bons. Après, il y a aussi des couples très pathologiques… » Pour Clément Ségissement, il est important de ne pas tomber dans un discours essentialiste de la violence. « Les auteurs de violences ne sont pas des “méchants”. Il y a parfois des discours essentialistes autour des violences conjugales et c’est difficile de s’en dégager sans se faire passer pour quelqu’un qui légitime ces violences. »

Le problème en renvoyant sans cesse les auteurs de violences conjugales au pénal, c’est qu’ils déploient alors des stratégies pour cacher leurs actes et rester dans le déni… Il n’y a donc de responsabilisation ni des individus, ni de la société.

Clément Ségissement et les autres membres de l’association Passible déplorent le manque de moyens qui leur sont attribués. « On a zéro moyen. Là, je vais bientôt commencer la prise en charge de personnes qui ont fait une demande il y a 6 mois ! Alors que si on met les choses en perspective, combien coûte une prise en charge pénale ? On pourrait dépenser cet argent autrement, comme dans le soin et la thérapie. » Passible va bientôt être absorbée par l’association grenobloise Codase. « C’est un point positif. Codase a davantage de moyens donc ça veut dire une meilleure structure pour nous. »

L’adhésion à Passible coûte 35€ par an et permet une prise en charge gratuite par la suite. Le numéro vert dédié aux auteurs de violences conjugales est le suivant : 08.019.019.11