Depuis 2016, le collectif As queer As Folk organise une fois par mois des ateliers et bals folk au Pôle Étudiant de Nantes afin d’offrir un « espace d’apprentissage des danses dégenrées, pro-consentement et à prix libre. » À chaque atelier mensuel, ce sont vingt à trente personnes, souvent des habitué-e-s, qui réinventent les codes et les rôles genrés. Tout est parti d’un constat, assez simple. Elzéard, co-créateur d’As queer As Folk et passionné de culture celte et bretonne, raconte : « Un jour, j’ai chaussé des petites lunettes féministes devant mes yeux… et je n’arrivais plus à m’amuser, trop de choses me dérangeaient. » Le militant énumère sans peine les situations, vécues ou vues, qu’il a pu rencontrer tout au long de son parcours. « Il ne s’agit pas de condamner le milieu folk. Juste de dire que c’est un espace social comme un autre… » En octobre 2019, le collectif a lancé la première édition de son festival, lui aussi baptisé As queer As Folk. Pour cette occasion, l’objectif était de viser plus large et de toucher l’ensemble du milieu folk.
C’est un samedi après-midi d’octobre quand les participant-e-s au festival se retrouvent au centre culturel breton de Saint-Herblain, à l’occasion d’un atelier pour « dé-genrer la danse. » Les échanges vont bon train et beaucoup font les mêmes constats. De la difficulté pour un homme d’inviter un autre homme à danser, « Deux hommes qui dansent ensemble arrêtent d’être des hommes », aux hommes qui séparent les femmes qui dansent entre elles, « On part du principe que deux meufs qui dansent entre elles sont entre copines et qu’elles n’ont pas pu trouver de partenaire masculin », ou encore ces hommes qui se positionnent devant une femme alors qu’elle mène une chaîne (lorsque plusieurs personnes se tiennent la main et dansent en file) afin de mener la chaîne à sa place, « Ce serait inconcevable de voir ça dans le sens inverse ! » Les rôles genrés se retrouvent aussi dans la répartition du travail bénévole. « En général les bénévoles hommes occupent le bar, et les femmes sont aux crêpes. » Enfin, les toilettes, souvent non-mixtes et genrées, sont une source de discrimination à destination des personnes qui ne sont pas cisgenres. « On pourrait par exemple distribuer des pisse-debout aux personnes qui en veulent », suggère une participante à l’atelier.
Et la liste est encore longue. D’autant plus que si la danse est questionnée, la musique l’est aussi. À l’occasion du festival, quatre groupes ont répondu à l’invitation : La Lampe à Folk ; Manue Bouthillier ; le duo Lemoine/Bouthillier et Cosmopoly. Là encore, les constats se rejoignent. Ainsi, des participant-es au festival constatent que la plupart des femmes sont au chant, et rarement derrière un instrument. Et pour cause, 73% de la scène du fest-noz est composée d’hommes (cis) selon une étude sur la place des femmes dans le spectacle vivant en Bretagne et réalisé par HF Bretagne en 2014. Au sein de As queer As Folk, les paroles de chansons sont réécrites, repensées et interrogées. « Beaucoup trop de chansons populaires dans les bals parlent de viol, d’amour et de mariages hétérosexuels, pas toujours consentis… Et sans le remettre en question ! », explique Elzéard. « Il y a pourtant des chansons qui critiquent tout ça, mais elles ont été moins transmises. On a par exemple trouvé sur Dastum une vieille chanson qui dit en gros aux jeunes filles que le mariage c’est nul à chier. »
Dès mon entrée dans le milieu folk, j’ai ressenti un besoin en termes de représentation. Je suis non-binaire*, du coup je ne me retrouve pas beaucoup dans les codes de genre de la danse en général.
Ellwenn fait partie de l’association depuis ses débuts. Pour l’occasion, iel* anime un atelier de co-guidage dans les danses à deux. Le but : dégenrer les danses en apprenant à tout le monde, sans distinction de genre, à guider et à suivre. Mais aussi faire sauter le système « leader/suiveur » en proposant un format de danse à deux où le bras droit guide et le bras gauche suit, pour chacun des deux partenaires. iel et Bryan sont artistes itinérant-es et proposent des chansons plus inclusives ainsi que des ateliers de co-guidage dans leurs tournées. iels viennent de créer leur groupe, baptisé Duo Cosmopoly. « Notre premier concert en public sera ce soir ! On a envie de mettre une visibilité sur d’autres choses que ce dont on a l’habitude d’entendre, comme le polyamour*. On n’affiche pas forcément notre démarche comme quelque chose d’étiquetté « militant », mais davantage comme une expérience à essayer, ça permet de toucher plus de monde. » Les participant-e-s à l’atelier de co-guidage se pressent en cercle et reçoivent les consignes d’Ellwen. Les exercices se succèdent, et petit à petit, chaque personne trouve sa place dans l’espace, se détend, ose se mouvoir… Ellwenn distribue alors des foulards et les binômes se forment. Dans chacun d’eux, une personne doit se bander les yeux et se laisser guider par l’autre. Aux signaux d’Ellwen, celui ou celle qui guide change de binôme, et la musique reprend alors.
S’éduquer au consentement à travers la danse
Durant l’heure où se déroule l’atelier, chaque personne fait l’expérience de guider et d’être guidée. À la fin, tout le monde se réunit en cercle et échange sur l’expérience. « On apprend vraiment à se laisser aller, à faire confiance à l’autre ! » lance une participante. « Toute la difficulté de l’exercice était de guider l’autre, sans s’imposer à lui, sans lui dicter où aller », raconte un autre. « C’est un exercice très parlant sur la façon dont on s’approprie l’espace, et sa relation à l’autre. » Lorsqu’on l’interroge sur le lien entre danse et consentement, Elzéard répond sans aucun mal : « Travailler la notion de consentement dans la danse nous apprend que c’est ok de refuser ET de se faire refuser une danse. Et aussi que c’est ok de vouloir l’arrêter avant la fin, à tout moment. Ça légitime le « non ». Dans ce sens, ça peut faire écho aux luttes féministes pour une société de pro-consentement. »
On veut que cette première édition parle à la fois aux gens déconstruits, alertes sur tous ces sujets, mais aussi aux personnes qui veulent découvrir et apprendre.
Dans un souci d’inclusivité, des interprètes en langue des signes française (LSF) étaient présent-e-s lors des prises de paroles. Un accès à personnes à mobilité réduite (PMR) était aussi assuré ainsi qu’un espace enfants. « On voudrait encourager les interactions entre personnes sourdes et entendantes. C’est encore assez rare malheureusement. Mais à notre niveau, on tente de faire bouger les choses. » En attendant une deuxième édition, rendez-vous au Pôle étudiant pour les ateliers-bals.