Il y a quelques semaines, l’attention médiatique s’est portée sur le mouvement « Music Too », qui dénonce les violences sexistes et sexuelles dans le secteur musical et culturel. Dans la musique électronique, comme dans beaucoup d’autres domaines, les compétences telles que le sound-design, le mixage ou encore le mastering sont traditionnellement attribuées aux hommes. En 2018, le magazine culturel Wodj a mené une enquête auprès des grands clubs français. Sur 11 clubs et plus de 4000 DJs programmé-es, 91% d’entre eux étaient des hommes. Parmi les 9 % restants figurent les femmes, les personnes non-binaires et les groupes mixtes. Si la part des minorités de genre représentées en tête d’affiche est faible dans les clubs parisiens, elle l’est d’autant plus dans les clubs hors Ile-de-France :

  • 10,8% des artistes booké-es dans les clubs parisiens sont des artistes issues de minorités de genre, contre 89,2% pour les hommes.
  • Ce chiffre passe à 9% pour les line-ups (listes d’artistes programmé-es) lyonnais et 4,6% pour les line-ups marseillais.

Pour apporter plus de visibilité et de représentations aux artistes issu-es des minorités de genre, de race et d’orientations sexuelles, des initiatives bourgeonnent et enrichissent la scène musicale française, à l’instar du projet Trap Africa qui met en avant la culture afro urbaine ou encore du label Act Right dont le but est de mettre en place des moyens d’actions pour plus d’inclusivité et d’écologie dans les milieux festifs.

  © Les Mixeuses solidaires
 © Les Mixeuses solidaires

Mixer c’est cool pour partager un univers musical. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires.

« Ça fait 25 ans que je mixe, principalement de l’électro mais aussi des musiques pour des courts-métrages… Je peux travailler pour pas mal de projets différents. » Emeraldia Ayakashi est membre du collectif « Les Mixeuses Solidaires » qui organise depuis 2019 des événements en soutien à des associations et des causes engagées. Parmi celles-ci : le fond de soutien aux Femmes en Méditerranée & SOS Méditerranée pour lequel les mixeuses ont récolté 2000€ ; l’association Les Femmes Invisibles qui vient en aide aux femmes sans domicile fixe (1000€) ; un centre d’aide aux victimes de violences conjugales et à leurs enfants (1800€)… L’initiative est partie de Sin’Dee et Miss Airie, deux DJs de la région de Montpellier. « Très vite, on était une dizaine. On était toutes d’accord sur le fait d’organiser des événements pour récolter des fonds. » Aujourd’hui les membres sont dix-huit et continuent d’organiser des événements mais en live sur Facebook à cause du coronavirus. « On récolte beaucoup moins comparé aux événements non virtuels. On ne dépasse jamais les 100€ ou 200€ sur un live. » Emeraldia tient cependant à souligner : « Les gens sont toujours hyper généreux, ça fait du bien de voir ça. » L’artiste a également co-fondé le collectif et média queer* féministe Support Your Local Girl Gang il y a trois ans. « Je me sers de mon identité non-binaire* pour casser les idées reçues sur le fait qu’il n’y aurait pas de personnes trans* ou non-binaires dans le milieu. La plupart des programmateurs de festivals, de bars, les directeurs artistiques, les bookers… vont te dire que les mixeur-ses LGBT* n’existent pas. Alors que c’est faux, on est plein ! » Elle renchérit : « Quand je tente de faire passer ce message, que je pointe du doigt l’absence de personnes LGBT dans une programmation, je me fais traiter de féministe abusive. »

La plupart des programmateurs de festivals, de bars, les directeurs artistiques, les bookers… vont te dire que les mixeur-ses LGBT* n’existent pas. Alors que c’est faux, on est plein !

Deux DJ's des Mixeuses Solidaires. À droite, Emeraldia Ayakashi.
Deux DJ’s des Mixeuses Solidaires. À droite, Emeraldia Ayakashi. © Justine Torres Photography (gracieuseté de la photographe).

La création des Mixeuses Solidaires sert aussi à pallier à l’entre-soi masculin blanc et hétérosexuel. « On se sert de notre collectif pour nous booker entre nous, mais du coup, on est à notre tour accusées de faire de l’entre-soi. Alors qu’eux-mêmes l’ont toujours fait et ça ne leur a jamais posé problème. », explique Emeraldia Ayakashi. Emeraldia explique que les préjugés sexistes peuvent aussi venir du public. « On me demande sans cesse de sortir le CV. Si je suis programmée sur un festival, y a toujours des gens qui viennent me voir pour me dire “ah on a été checké votre profil sur internet, et on voulait s’excuser parce que vous avez l’air plutôt compétente, on pensait pas.” Le pire c’est que ça part d’une bonne intention… » À terme, les Mixeuses Solidaires souhaitent utiliser l’association comme une agence de booking tout en reversant les cachets à des associations et collectifs. Emeraldia Ayakashi l’assure : « Avec les Mixeuses Solidaires, nous créons les places qu’on ne nous donne pas. »

Je ne compte plus le nombre de réflexions et de mansplaining* que j’ai reçu dans ma carrière. Je suis pourtant prod avant d’être DJ. Mais on vient quand même m’expliquer comment faire un branchement.