Les enjeux
A ce jour, 49% des avortements dans le monde sont non-médicalisés, autrement dit effectués par des personnes dépourvues des compétences nécessaires et/ou dans des environnements dépourvus de normes médicales. Chaque année, les avortements clandestins provoquent ainsi la mort de 47 000 femmes des suites d’infections, d’hémorragies et de blessures utérines. Dans le monde, de nombreux pays interdisent toujours l’accès à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) ou en durcissent fortement l’accès. En Europe, l’Andorre, Malte, le Vatican et la Pologne sont les quatre derniers pays à l’interdire à ce jour. Très conservatrice, la Pologne a voté une quasi-interdiction de l’IVG en 2020 malgré de nombreuses mobilisations et manifestations féministes. Depuis plusieurs semaines, la société civile et les mouvements féministes des Etats-unis se soulèvent contre un projet de décision de la Cour suprême qui menace directement le droit à l’avortement, acquis en 1973 avec la loi dite « Roe v. Wade ». A l’inverse, ces dernières années, des pays se sont (enfin) dotés de ce droit, tels que l‘Irlande du Nord en 2019, l’Argentine en 2020, ou encore très récemment la Colombie en 2022. D’autres encore le consolident. C’est le cas de l’Espagne dont le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez a présenté un projet de loi en mai dernier pour garantir l’accès à l’IVG dans les hôpitaux publics, ou encore la possibilité pour les mineures de 16 ans et plus d’avorter sans autorisation parentale.
L’avortement en France au XXIe siècle
Après de longs combats féministes, la France s’est quant à elle dotée de ce droit en 1975 avec la loi Veil. En mars dernier, le délai légal de l’IVG a été prolongé, passant de 12 à 14 semaines de grossesse (soit 14 à 16 semaines d’aménorrhée, soit l’absence de menstruations.) La nouvelle loi permet également aux sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales, et un répertoire des professionnel-les pratiquant l’avortement va être créé. Malgré cet allongement du délai, de nombreuses difficultés d’accès à l’IVG subsistent. La faute au manque de moyens attribués au système de santé public, ainsi qu’à la double clause de conscience des médecins. La clause de conscience est la possibilité au corps médical de refuser la pratique d’un soin. En 1975, face au conservatisme et à l’hostilité d’une partie des parlementaires concernant la dépénalisation de l’IVG, la loi Veil introduit dans son texte une deuxième clause de conscience, spécifique à l’interruption volontaire de grossesse. Si un-e médecin peut ainsi invoquer la double clause de conscience pour ne pas réaliser un avortement, il a en revanche l’obligation d’orienter la patiente vers un-e autre professionnel-le de santé, mais ce devoir n’est pas toujours respecté. A l’heure actuelle, entre 3000 et 5000 françaises partent avorter à l’étranger (notamment aux Pays-Bas, en Espagne et en Angleterre), voire, ont recours à des avortements clandestins pour les plus précarisées.
Il existe deux types de méthodes pour avorter. La première, dite médicamenteuse, consiste à prendre deux comprimés à une intervalle de 48 heures. Le premier comprimé stoppe le développement de l’embryon, alors que le second provoque des contractions utérines qui vont évacuer celui-ci. Cette méthode peut se pratiquer à domicile, mais certains Plannings familiaux par exemple, proposent un espace sécurisé pour les personnes qui ne peuvent pas le faire chez elles. Intensité des douleurs, abondance des saignements, caillots… ; comme pour les menstruations, l’IVG médicamenteuse est vécue très différemment selon les personnes. La seconde méthode, dite instrumentale (ou chirurgicale) a lieu sous anesthésie générale (et plus rarement locale, selon les compétences des équipes soignantes), en milieu hospitalier. Un médicament est donné pour faciliter la dilatation du col, puis le contenu de l’utérus est aspiré à l’aide d’une canule. Dans les deux cas, un rendez-vous de suivi a ensuite lieu dans les 15 à 21 jours afin de s’assurer que tout va bien.
Quelques chiffres :
- Une femme sur trois avorte au moins une fois dans sa vie en France.
- 9,5% des femmes ont recours 2 fois à une IVG, et 4,1% des françaises y ont recours 3 fois ou plus au cours de leur vie.
- En 2020, il y a eu 222 000 interruptions volontaires de grossesses, 72% de celles-ci étaient médicamenteuses.
- 72%, c’est aussi le pourcentage du nombre de femmes qui ont recours à un avortement alors qu’elles étaient sous contraception – soit une femme sur quatre.
- En 2013, seulement 4 femmes sur 10 ont pu choisir leur méthode d’avortement, et 1 femme sur 10 n’a absolument pas été consultée sur la question.
- De nombreux écarts régionaux perdurent. Ainsi, les Pays de la Loire ont enregistré un taux d’IVG de 11,4 pour 1000 femmes, contre 21,7 en Provence Alpes Côtes d’Azur. Dans les départements ultra-marins, ces taux dépassent les 39%, notamment en Guadeloupe et en Guyane.
- Ces 15 dernières années, plus de 130 centres IVG ont fermés, aggravant ces disparités territoriales.
Pour obtenir ce droit fondamental, il aura fallu lutter sans relâche. Ci-dessous, une rétrospective du droit à l’avortement en France, jusqu’à aujourd’hui. Bon à savoir : vous pouvez obtenir un remboursement de la Sécurité sociale après une IVG obtenue à l’étranger. Cela nécessite quelques démarches administratives, selon les mêmes modalités qu’une opération lorsque vous êtes en vacances dans un autre pays par exemple. Pour plus d’informations, contactez le Planning Familial ou Ameli.
Rétrospective de l’avortement en dates françaises :
En 1810 le Code civil de Napoléon instaure le crime d’avortement. Les femmes ayant recours à un avortement et les personnes les y aidant encourent la prison.
En 1923, le crime d’avortement devient un délit, afin de poursuivre les personnes avortées et avorteuses devant la Cour d’assises. Trois ans plus tôt, en 1920, la contraception était également devenue illégale par l’intermédiaire d’une loi votée à l’Assemblée Nationale, cela dans l’optique de renouveler la population après la Première Guerre Mondiale.
En 1935, malgré ces lois restrictives, le premier dispensaire à offrir des consultations de contraception voit le jour à Suresnes, par l’initiative du médecin Jean Dalsace.
1939-1944 : La loi de 1942 du régime de Vichy assimile l’avortement à un crime contre la sureté de l’Etat. C’est la chasse aux faiseuses d’anges. L’une d’elles, Marie-Louise Giraud, sera guillotinée le 30 juillet 1943 pour avoir pratiqué 27 avortements.
Le 8 mars 1956, la doctoresse Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé dépose les statuts de l’association de la Maternité Heureuse, dont elle est Présidente. L’association se renomme Mouvement français pour le planning familial en 1960, et délivre des contraceptifs avant même la loi Neuwirth (1967.)
En écho à la Women’s March de New York, le Mouvement de libération des femmes (MLF) voit le jour le 26 août 1970. Ce mouvement revendique l’égalité des droits et la lutte contre toutes les formes d’oppressions. Le MLF va surtout focaliser sa lutte pour le droit à l’IVG et l’accès à la contraception libre et gratuite, dans une optique de libre disposition du corps des femmes. Par la suite, d’autres associations se créeront et viendront appuyer les revendications du MLF, comme l’association Choisir présidée par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, ou encore le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC). À cette époque, les françaises aisées vont à Londres ou en Suisse pour avoir recours à une Interruption Volontaire de Grossesse. Les pauvres, quant à elles, ont recours à des avortements clandestins. Jusque dans les années 1970, on estime qu’une femme mourait chaque jour des suites d’un avortement non-médicalisé en France, comme l’explique ce reportage de France 2. Afin d’avoir le droit à un curetage en hôpital, ces femmes devaient faire semblant d’avoir une fausse couche. Seules ou aidées par un-e proche, elles se plaçaient une sonde dans l’utérus, un scoubidou, une baleine de parapluie, des aiguilles à tricoter… et laissaient l’objet en place jusqu’à l’infection. Quand elles ne mouraient pas, les femmes qui parvenaient à réchapper d’un avortement clandestin étaient souvent mutilées, stériles. Dans ce documentaire de France Culture, des femmes – anonymes ou connues – racontent leurs avortements avant la légalisation.
Le 5 avril 1971, le Nouvel Observateur fait paraître le manifeste de 343 femmes déclarant avoir avorté, et rédigé par Simone de Beauvoir. Une semaine plus tard, le magazine Charlie Hebdo fait sa Une avec la question suivante : « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste de l’avortement ? », et une caricature de Michel Debré qui répond : « C’était pour la France ! » Les féministes se sont ensuite réappropriées l’insulte, et le terme « Manifeste des 343 salopes » est resté. Ces femmes, dont une grande partie étaient des personnalités connues (Simone de Beauvoir, Agnès Varda, Brigitte Fontaine, Françoise Sagan, Jeanne Moreau…), en déclarant publiquement avoir eu recours à un avortement clandestin, s’exposaient à des poursuites pénales, mais aucune ne fut poursuivie. Par la suite, ce texte a inspiré le manifeste des 331 médecins se déclarant pour la légalisation de l’avortement, en 1973.
En 1972, s’ouvre le procès de Bobigny, pour lequel 5 femmes sont jugées : Marie-Claire Chevalier, une mineure de 16 ans ayant eu recours à un avortement clandestin après un viol, et quatre femmes majeures dont la mère de Marie-Claire, pour complicité et pratique d’avortement. Elles furent défendues par l’avocate Gisèle Halimi, qui, avec l’accord des inculpées, décide de mener un procès politique de l’avortement. Marie-Claire Chevalier est relaxée, sa mère est condamnée à 500 francs d’amende, et l’avorteuse à un an de prison avec sursis ainsi qu’une amende. Les deux autres femmes sont relaxées. Le procès, très médiatisé, a un impact important sur l’ensemble de la société. De 518 condamnations pour avortement en 1971, elles chutent à 288 en 1972, puis quelques dizaines en 1973.
A partir de 1972, le nombre de décès liés aux avortements non-médicalisés va connaître une forte baisse en France, grâce à la méthode Karman. Des étudiant-es en médecine, militant-es au sein de l’association Choisir, décident de partir en Angleterre pour apprendre cette technique d’avortement révolutionnaire, et la ramener en France. Mise au point en 1958 en Chine, cette méthode est ensuite améliorée par le psychologue et militant état-uniens Harvey Karman qui la diffuse dans les hôpitaux américains. La méthode, qui consiste à aspirer le contenu de l’utérus au moyen d’une canule et d’une seringue, est simple, peu chère et ne nécessite pas d’anesthésie. Harvey Karman la présente lui-même à Paris en 1972, par une démonstration dans l’appartement de l’actrice et militante Delphine Seyrig.
Le 17 janvier 1975, la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse est promulguée. Provisoire, le texte est voté pour 5 ans et sera soumis à un vote définitif en 1979.
En 1979, pour la première fois en France, en-dehors de toutes organisations, environ 50 000 femmes descendent dans la rue à Paris pour réclamer le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale et la dénonciation des médecins qui refusent de la pratiquer. En novembre de la même année, la loi est votée définitivement sans amélioration.
En 1982, la loi Roudy (du nom d’Yvette Roudy, ministre du droit des femmes sous Mitterand), ouvre le droit au remboursement de l’IVG. La loi est abrogée en 1987. C’est seulement depuis 2012 que l’Assurance maladie prend en charge le coût de l’IVG à 100%, et depuis 2016 que l’intégralité des frais concernant l’IVG (examens médicaux, analyses…) sont remboursés.
Avortements clandestins pour les femmes blanches, avortements forcés pour les femmes noires…
En 1970, le docteur de la Croix-Rouge Roger Serveaux est appelé en urgence au chevet d’une jeune fille réunionnaise de 17 ans. La patiente est victime d’une grave hémorragie après un curetage mal fait. Une plainte est déposée contre X, et le médecin responsable de l’opération est interrogé ainsi que ses patientes. L’enquête s’élargit alors à d’autres médecins, et des journalistes commencent à enquêter. C’est notamment grâce à un article paru dans l’Obs, que l’on découvre que des milliers d’avortements et de stérilisations forcées sont pratiquées depuis 1966 sur des femmes réunionnaises, dans la clinique du docteur Moreau, basée à Saint-Benoît. Des femmes, jusqu’à huit mois de grossesse, sont avortées sans leur consentement, puis stérilisées sans qu’elles en soient averties. À l’époque, l’avortement est encore un crime en France. Les médecins font alors passer ces actes pour des opérations chirurgicales autorisées auprès de la Sécurité sociale, afin d’être remboursés. Seules 36 victimes porteront plainte, et les médecins responsables ne seront pas (ou peu) condamnés. La plupart d’entre eux répèteront à leurs procès qu’ils se sont sentis encouragés à le faire. Dans son livre « Le Ventre des femmes », la militante et politologue Françoise Vergès revient sur cette affaire. Elle raconte les campagnes gouvernementales qui encourageaient le contrôle des naissances à La Réunion, citant des chercheurs qui parlent même de « harcèlement publicitaire. » Des affiches dans la rue, aux messages publicitaires dans les médias qui diffusaient quotidiennement des hurlements d’enfants, en passant par des documentaires anti-natalistes à la télévision… Les Planning familiaux locaux et les centres de protection maternelle et infantile ont également participé à cette campagne anti-nataliste en distribuant des tracts avec les coordonnées de la clinique Saint-Benoît. Dans son livre, Françoise Vergès analyse l’histoire coloniale, patriarcale et capitaliste du contrôle des naissances. La politologue explique que pendant la colonisation et l’esclavage, le ventre des femmes noires était un enjeu crucial du pouvoir colonial, patriarcal et capitaliste.
Dès que l’on considère le vol du ventre des femmes noires et le viol comme des éléments du capitalisme, l’analyse du patriarcat comme universel et s’exerçant partout de la même manière cesse d’être pertinente.
Françoise Vergès
Les cartographies politiques et sociales se transforment au XXe siècle avec l’industrialisation et les mouvements de décolonisation, que les puissances coloniales perçoivent comme une menace. « Les avortements sans consentement des Réunionnaises ne sont pas simplement l’histoire d’un abus ou de l’impunité des puissants dans les territoires français d’outre-mer, mais un des exemples de contrôle du corps des femmes racisées dans le monde et des atteintes à la justice sociale. » Enfin, Françoise Vergès interroge aussi dans son livre l’aveuglement du féminisme blanc et hexagonal. Le manifeste des 343 est publié seulement trois mois après les révélations du scandale de la clinique du docteur Moreau. Pour autant, le MLF n’en fera jamais mention dans ses revendications pour l’accès à l’IVG. Françoise Vergès en parle plus largement dans cette interview.
L’avortement face au validisme*
Les populations handicapées ont été les victimes de politiques eugénistes* à de multiples reprises dans l’Histoire. On estime que 400 000 d’entre elles ont été stérilisées de force par le régime nazi entre 1933 et 1945. La plupart de ces personnes étant considérées comme malades mentales, ces opérations sont réalisées avec un quasi-consensus du milieu médical de l’époque. Mais de nombreux pays démocratiques promulguaient des lois eugénistes bien avant la Seconde Guerre Mondiale, et ont continué après. La Suède, la Finlande ou encore la Norvège ont pratiqué des campagnes politiques de stérilisations forcées sur les personnes handicapées jusque dans les années 1970. En 1997, Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, commande un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) portant sur les pratiques de stérilisations forcées des personnes handicapées en France. Ce rapport annonce qu’à l’époque, 400 à 500 femmes handicapées sont stérilisées sans leur consentement chaque année, ainsi qu’une quinzaine d’hommes. A cette époque, la stérilisation étant toujours illégale en France, le rapport précise : « nous subodorons que les cas de stérilisation étaient plus élevés, notamment dans les cliniques privées, sous couvert d’appendicectomie. » Un collectif de quinze femmes françaises handicapées qui furent stérilisées de force dans les années 1990, ont entamé en 2012 une procédure contre l’État français à la Cour européenne des droits de l’homme, suite à leurs plaintes classées sans suite. Elles perdront tous leurs procès.
Au Royaume-Uni, la militante anti-validiste* Heidi Crowter est à la tête du mouvement Don’t Screen Us Out (« Ne nous filtrez pas », en français), qui se bat contre une loi autorisant l’avortement jusqu’à la naissance en cas de syndrome de Down. Ce mouvement dénonce ainsi l’hypocrisie des politiques publiques en matière d’IVG, qui sont prompts à restreindre les délais d’accès à l’IVG, sauf si le bébé est handicapé. En France aussi, les militant-es handicapé-es dénoncent le validisme qui entoure l’accès à l’IVG, comme en témoigne cet article du Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation (CHLEE).
L’initiative
On a pas de sous. On est de plus en plus contraints à être une décharge du service public, avec des moyens très réduits.
Marie-Liesse Montes commence à militer au Planning familial en 2017 avant d’accéder au poste de direction du planning de Gironde en 2021. Celle qui se considère féministe depuis longtemps, raconte avoir eu une révélation lors de ses études en 2002 : « Cette année-là, j’ai eu un cours d’études de genre, ce qui était encore très rare pour l’époque en France. D’un coup, j’ai vu le monde avec de nouvelles lunettes. Ça m’a mise très en colère ! Mais c’est usant d’être en colère et ne rien pouvoir en faire de positif… » Marie-Liesse rencontre alors des militantes du Planning familial et c’est le « coup de cœur. » « A l’époque, j’en avais une vision assez médicale. Pour moi, c’était l’endroit où tu pouvais avoir une contraception en tant que mineure sans que tes parent soient au courant. Enfin c’est ce que le Planning avait été pour moi quand j’étais jeune… », admet-t-elle dans un sourire. « Mais là, j’ai découvert une association militante avec une vraie mission d’éducation populaire. » La militante raconte avoir grandi dans un milieu « très catholique » et plutôt de droite. « Je n’étais pas trop destinée à me battre pour l’IVG », confie t-elle.
L’antenne girondine qu’elle dirige compte 9 salarié-es et 36 bénévoles actives. Comme dans toutes les antennes du territoire, l’écoute et la bienveillance sont fondamentales. « Quand on débute au Planning, on est toutes formées à l’écoute active », explique Marie-Liesse Montes. « On est pas là pour poser des questions intrusives, les personnes qui viennent nous voir doivent se sentir en sécurité. On pose les questions les plus ouvertes possibles, et la personne nous confie ce qu’elle veut. »La militante explique qu’encore beaucoup de femmes culpabilisent d’avoir recours à une IVG. « On fait en sorte d’avoir des paroles rassurantes. On leur rappelle qu’une femme sur trois vit un avortement. » Le Planning familial travaille aussi à déconstruire les mythes autour de l’IVG. « Au Planning, on veut casser le mythe de la jeune mineure écervelée. Beaucoup de femmes qui ont recours à un avortement ont la trentaine. Les femmes qui viennent nous voir, pour la plupart, ont entre 25 et 35 ans, ont déjà trois enfants, elles se retrouvent avec une grossesse non désirée supplémentaire et elles ne veulent pas d’un quatrième enfant, pour les raisons qui sont les leurs. » Marie-Liesse Montes a une quantité d’exemples à disposition. Elle raconte, pèle-mèle : cette femme de 49 ans qui a dû gérer un parcours IVG à l’aube de la ménopause, une autre qui a déjà trois enfants, une situation précaire, et sur qui, semble t-il, « le sort semble s’acharner. » « Elle a eu deux grossesses non désirées : une sous stérilet, une autre sous pilule. Elle a fini par avoir recours à une ligature des trompes… » Ou encore, des personnes avec des Dispositifs Intra-Utérins (DIU) mal posés, des dénis de grossesse… « J’ai même rencontré une dame qui est tombée enceinte en étant sous implant ! » Pour rappel, l’implant contraceptif est la méthode la plus performante, avec 99,9% d’efficacité. Mais le risque zéro n’existe pas. Certaines personnes choisissent aussi d’avoir recours à une IVG suite à une perte d’emploi, une situation de violences dans le couple ou encore une séparation… « Même le meilleur accès à l’IVG du monde ne pourrait prémunir ces situations. »
L’avortement est une expérience qui fait partie de la vie sexuelle et reproductive. Même quand ça arrive deux fois, trois fois… Ce n’est pas de votre faute. Vous n’êtes coupable de rien, et vous n’avez pas à subir de jugement ! Même en prenant toutes les précautions du monde, ça arrive, et pas qu’aux autres.
Le droit et son effectivité….
À cela, s’ajoutent de multiples entraves dans les parcours. Par exemple, peu de centres IVG sont équipés pour réaliser des échographies. « On demande souvent une échographie pour dater la grossesse, s’assurer qu’elle n’est pas extra-utérine, et qu’on est bien dans les délais pour une IVG. » Même une fois le rendez-vous trouvé, les difficultés persistent. « Normalement, pour les IVG, on ne montre pas l’image et on coupe le son à l’échographie. Sauf, bien sûr, si la personne demande de voir ou d’entendre », explique Marie-Liesse Montes. « Mais il arrive que des échographistes fassent exprès de faire écouter les battements de cœur… » En plus des nombreux stéréotypes qui subsistent, les centres IVG indisponibles ne renvoient pas toujours vers d’autres établissements, et il est fréquent que la patiente n’ait pas le choix concernant le type de méthode. « Théoriquement, les personnes souhaitant avorter ont le choix entre deux types d’IVG. Mais dans les faits, les personnes prises en charge tôt sont fortement invitées à avoir recours à une IVG médicamenteuse, qui représente beaucoup moins de frais qu’une IVG instrumentale. » À l’inverse, les femmes étrangères qui maîtrisent peu le français sont davantage orientées vers une IVG instrumentale. La raison, selon Marie-Liesse Montes : « Les médecins partent du principe qu’elles ne comprendront pas les instructions pour réaliser une IVG médicamenteuse. » L’accès à l’avortement est ainsi toujours conditionné par le système – patriarcal, raciste et capitaliste – dans lequel il s’exerce. « Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant », disait Simone de Beauvoir. Enfin, les disparités existent aussi en fonction des territoires.
En Gironde, quand il y a des IVG qui risquent d’être hors délai, les médecins se débrouillent toujours pour trouver un rendez-vous rapide. Mais dans certains départements, il suffit que le seul médecin disponible soit anti-IVG, il fait appliquer la double clause de conscience et c’est plié.
Face à toutes ces situations d’entrave, voire d’abus, Marie-Liesse Montes encourage les femmes à en parler au Planning familial. « On assure un rôle de vigie. On est là pour vous conseiller, mais aussi pour interpeller et taper du poing sur la table quand c’est nécessaire face à des pratiques inacceptables ! »
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Les mouvements anti-IVG sont très bien organisés et financés dans le monde, ils sont puissants et nous menacent directement. On doit à tout prix restez vigilant-es !
Améliorer l’accès à l’IVG, lutter contre les déserts médicaux, sensibiliser l’opinion publique, éduquer dans les écoles… Les combats pour continuer de défendre le droit à l’IVG sont encore nombreux. « En France, l’opinion publique est très favorable à l’Interruption volontaire de grossesse », affirme Marie-Liesse. « On le voit bien lors des élections présidentielles par exemple. Même les candidats d’extrême-droite ne s’aventurent pas à dire qu’ils sont anti-IVG… Ce n’est pas le cas dans tous les pays d’Europe ! » Pour autant, la vigilance et l’alerte restent de mise. Parmi les revendications du Planning familial en matière de droit à l’avortement, il y a la suppression de la double clause de conscience, mais également un alignement sur les délais les plus progressistes en Europe. « On défend le droit des femmes à choisir pour leur corps, quel que soit le stade de la grossesse. Quand on arrive à faire une IVG à 6 mois de grossesse, c’est qu’on est dans une situation qui l’exige. » De fait, les Pays-Bas est le pays européen où les délais sont les plus longs, puisqu’il est possible d’avoir recours à une IVG jusqu’à 24 semaines de grossesse. « La Colombie a légalisé directement à 24 semaines également ! », ajoute Marie-Liesse Montes. Pour autant, la militante revient toujours à la question du droit et de son effectivité. « On est assez inquiètes de voir ce qu’il se passe dans d’autres pays. En Italie par exemple, l’IVG est légale mais c’est presque impossible dans certaines zones d’y avoir recours, faute de médecins. Les déserts médicaux sont un vrai problème dans l’accès à l’IVG. »
Au Planning familial, on se fait souvent à la réflexion qu’il faut qu’on continue de préserver la mémoire militante. Notamment des savoirs-faire, comme la méthode Karman. Parce qu’on ne sait jamais…
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