Les enjeux
Le 5 juin 1967, 500 personnes grosses manifestent à New York contre la grossophobie. Les militant-es brûlent des magazines et des livres de régimes, ainsi que des posters de Twiggy Lawson, une mannequin qui représentait le standard de beauté et le modèle à atteindre à l’époque. Par la suite, des organisations politiques telles que la NAAFA (National Association to Advance Fat Acceptance), ou encore le Fat Underground voient le jour (respectivement en 1969 et en 1972). Le Fat Underground fut fondé par les militantes féministes Sara Fishman et Judy Freespirit, qui formulent leur vision politique par cette phrase : « Le régime est un remède qui ne fonctionne pas, inventé pour soigner une maladie qui n’existe pas. » Le « fat activism » (militantisme anti-grossophobie, en français) est né. Le témoignage de Sara Fisherman sur la création du Fat Underground et ses actions est disponible ici.
Qu’est-ce que le surpoids et l’obésité ?
Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), une personne sur deux en France est en surpoids, et près de 17% est obèse. C’est l’Indice de masse corporelle (IMC) qui détermine la façon dont notre poids est perçu dans la société : en surpoids avec un IMC de 25, obèse avec un IMC de 30. L’IMC – qui consiste à diviser le poids par la taille au carré – fut conçu dans les années 1830 par un mathématicien et astronome belge (Adolphe Quetelet), ses travaux vont inspirer de nombreux scientifiques eugénistes*, comme Francis Galton lui-même. Aujourd’hui, bien que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) continue de l’utiliser, cette unité de mesure est de plus en plus remise en cause, y compris au sein de la communauté scientifique. Les arguments les plus courants avancent qu’il s’agirait d’une formule :
- incapable de faire la différence entre la masse adipeuse et la masse musculaire.
- incapable d’établir la répartition des tissus adipeux dans le corps.
- qui ne prend pas en compte les variétés humaines à travers le monde. Ainsi, la formule de l’IMC, bien que très simpliste (le poids, divisé par la taille), est appliquée à l’ensemble de la population mondiale, sans distinction de genre, de généalogie, ou encore d’appartenance raciale… Or, le rapport à l’alimentation, au corps, ou encore à la physiologie, diffèrent beaucoup d’un endroit du monde à l’autre, d’une population à une autre.
- qui suppose que la minceur serait un gage de bonne santé, quand la grosseur serait, elle, un gage de mauvaise santé. Pourtant, des maladies comme le diabète ou le cancer sont aussi développées par des personnes minces.
- qui est individualisante, et qui permet ainsi aux pouvoirs publics (et aux multinationales, aux lobbys pharmaceutiques…) de culpabiliser et de sur-responsabiliser l’individu, au détriment de véritables politiques publiques en matière de santé.
Dès les années 1970, les compagnies d’assurance santé américaines ont commencé à se servir de l’IMC pour estimer les niveaux de risques à assurer tel ou tel individu. Bien entendu, les clients considérés comme étant à « haut risque » d’obésité payaient plus cher, comme l’explique cet article de la BBC. Dans ce même article, une endocrinologue explique que : « La raison pour laquelle nous utilisons l’IMC est très bête. (…) C’est un outil très bon marché et rapide à calculer, et les alternatives pour effectuer une mesure similaire sont coûteuses, compliquées et difficiles d’accès. » Deux spécialistes en santé nutritionnelle interrogés pour ce même article contestent également la pertinence de l’IMC en ayant recours, pour cela, à d’autres arguments que ceux listés ci-dessus. C’est le cas d’une nutritionniste qui affirme qu’à force de trop mettre l’accent sur le poids, cela crée un effet contre-intuitif chez les patients : « Je le constate à chaque fois. Des patients qui arrêtent de faire du sport parce qu’ils n’ont pas perdu de poids, alors qu’ils amélioraient considérablement leur capacité cardiorespiratoire. » Elle ajoute : « Il existe bel et bien un lien entre la graisse corporelle et la santé. Mais dans le monde réel, si nous pouvons amener les gens à mieux dormir, à cuisiner à la maison, à prendre des repas avec leurs proches, tout cela améliorera leur santé et leur bien-être, que leur poids change ou non. »
Être gros-se quand on est pauvre…
Les liens entre pauvreté et obésité sont connus depuis longtemps, et souvent mis en avant dans les médias. Dans cet article de l’Observatoire des inégalités, on apprend que l’obésité est deux fois plus fréquente chez les ouvriers et les employés que chez les cadres supérieurs. Les personnes pauvres seraient plus grosses car elles auraient moins facilement accès à de la nourriture de qualité ou encore à la possibilité de pratiquer un sport régulièrement. Mais si les personnes grosses sont plus exposées à la pauvreté, c’est aussi car la grossophobie est vectrice d’inégalités économiques et sociales. Ainsi, les hommes gros rapportent être discriminés à l’embauche trois fois plus souvent que les hommes minces, quand les femmes grosses le sont huit fois plus que les femmes minces. Dans son livre Fat and Proud : the politics of size (que l’on peut traduire par : Grosse et fière : politiques de la grosseur, mais le livre n’a jamais été traduit en français), la militante britannique Charlotte Cooper raconte que son poids était une obsession pour sa mère, car elle craignait que leur classe sociale devienne plus visible aux yeux de la société, si sa fille était grosse. Rester mince, par peur de devenir trop visible en tant que pauvre. Charlotte Cooper travaille depuis plusieurs décennies sur le sujet, et explore également les liens entre les identités grosses et LGBTI* dans ses livres et ses articles. (Voir la rubrique « Aller plus loin » en fin d’article).
… une femme…
Selon une étude coordonnée par l’Inserm et le CHU de Montpellier en 2023, les hommes seraient davantage en surpoids que les femmes (36,9 % contre 23,9 %), quand l’obésité concernerait 17,4% de femmes et 16,7% d’hommes. Pourtant, selon les chiffres du Ministère de la santé : les femmes représentent plus de 80% des patients opérés pour obésité. En 2021, une équipe de chercheurs en sciences sociales a publié une enquête universitaire intitulée « Opération du poids et poids de l’opération. Les régimes de justification de patients obèses en attente d’une chirurgie bariatrique », pour laquelle ils ont échangé avec des patient-es concerné-es. Selon eux, le premier type de raisons invoquées pour y avoir recours est en lien avec la santé (douleurs articulaires, diabète, hypertension…). Les chercheurs expliquent : « Les récits très médicalisés de la prise de décision ne sont évidemment pas sans lien avec les conditions objectives d’accès à l’opération, liées à des critères médicaux (IMC, comorbidités). La chirurgie bariatrique, en offrant un traitement médical de l’obésité, entérine et renforce le long processus de construction de l’obésité comme catégorie médicale. La médicalisation de l’obésité constitue ainsi la base à la fois matérielle et idéologique à partir de laquelle les patients justifient leur opération. » Le second type de raisons avancées par les patient-es sont liées à des problématiques d’accessibilités, la grossophobie les empêchant de prendre part à la vie sociale au sens large. La suite de l’étude articule la problématique du handicap et celle des normes de genre. En effet, plusieurs femmes perçoivent la chirurgie bariatrique comme un moyen de se « déshandicaper ». Elles sont quelques-unes à exprimer comment leur grosseur entraîne une inégale répartition des tâches ménagères avec leur conjoint, et le sentiment de honte qui en découle, ainsi qu’une impression, pour ces femmes, de ne pas tenir leur rôle de ménagère. Enfin, le troisième type de raisons évoquées pour avoir recours à la chirurgie bariatrique est celui de l’esthétique, pour « échapper à la honte de soi. »
Le patriarcat fait peser sur les femmes la responsabilité de se rendre désirables. Dans son livre La domination masculine, Pierre Bourdieu l’explique dans ces termes : « La domination masculine constitue les femmes en objets symboliques dont l’être est un être perçu, ce qui a pour effet de les placer dans un état permanent d’insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique : elles existent d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objets accueillants, attrayants, disponibles. » Dans notre société, être gros-se est synonyme de laideur. Une aubaine pour l’industrie des régimes. En 2023, l’entreprise pharmaceutique danoise Novo Nordisk est parvenue à prendre la première place au classement en Bourse, devançant ainsi le groupe LVMH. Les ventes de son traitement phare contre le diabète, l’Ozempic, ont vu une hausse de 58% sur l’année. Sur le réseau social TikTok, de nombreuses femmes se filment en train de s’injecter de l’Ozempic, souvent dans le but de perdre du poids, car la popularité de ce médicament tient à ses capacités amaigrissantes, mais qui ne serait pas sans risques pour autant.
… ou handicapé-e.
En 2010, l’affaire du Médiator éclate à la suite de la parution du livre Médiator 150 mg : combien de morts ?, écrit par la pneumologue brestoise Irène Frachon. Commercialisé par les laboratoires Servier entre 1976 et 2009, le Médiator est accusé d’avoir causé la mort de 1 500 à 2 100 personnes en France, et d’avoir entraîné de nombreux effets secondaires à long-terme chez d’autres patients. Le Médiator contient une molécule coupe-faim (le benfluorex), et a été indiqué, pendant plusieurs décennies, dans le traitement du diabète chez les personnes en surpoids. Les trois-quart des victimes du Médiator sont des femmes. Largement prescrit pour maigrir, ce produit entraîne des lésions des valves cardiaques et peut causer des valvulopathies ou encore de l’hypertension artérielle pulmonaire. En 2021, les laboratoires Servier sont condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires ». En 2023, ils sont de nouveau condamnés, cette fois pour escroquerie. L’amende est augmentée (8,75 millions d’euros), et à celle-ci, s’ajoute les frais de remboursement aux organismes sociaux (415 millions d’euros). L’affaire a fait l’objet d’un film (La Fille de Brest) et d’une revue dessinée (Médiator, un crime chimiquement pur). Le scandale du Médiator illustre comment, dans une société capitaliste et validiste*, la médecine occupe un rôle de normalisation sociale. Depuis plusieurs années, des collectifs de personnes grosses alertent sur la grossophobie dans le milieu médical. Outre le matériel (balances, tensiomètres, brancards…) qui n’est jamais adapté, ces personnes subissent de nombreuses humiliations dans leurs parcours de soins. Qu’elles consultent pour une grippe, de l’asthme, ou encore des troubles du sommeil… tout est ramené à leur poids. Sur les réseaux sociaux, les témoignages sont légion. C’est aussi ce qu’explique la militante Daria Marx dans cet article de Libération : « C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter un nouveau médecin, parce que je sais qu’on va se focaliser sur mon poids. » (…) « Ils sont persuadés qu’on a des problèmes de cholestérol, de foie. Ils sont surpris de ne rien trouver. Que vous ayez une cheville cassée ou un furoncle, ils s’en foutent. Pourtant, on peut se casser la jambe qu’on soit maigre ou gros. » Cette stigmatisation entraîne des retards et/ou des erreurs de diagnostics, et éloigne les personnes grosses des soins. C’est ainsi que l’essoufflement et les gênes respiratoires provoquées par la prise du Médiator chez des femmes en surpoids furent attribué à leur grosseur, et non à l’altération de leurs valves cardiaques.
En ce sens, la lutte des militant-es anti-grossophobie rejoint celle des militant-es anti-validistes. Dans les années 1970, le modèle social du handicap est élaboré par des activistes handicapé-es britanniques. Prenant à contre-sens les discours médicaux qui font du handicap une réalité biologique et individuelle, les partisans du modèle social du handicap affirment, au contraire, que le handicap est le résultat des limitations de la société elle-même, dans sa construction et son organisation. Le modèle social du handicap invite à repenser l’organisation de notre société pour la rendre accessible à tout-es.
L’initiative
À Fat Friendly, on revendique le fait que ça peut être cool d’être une personne grosse. On refuse toute vision misérabiliste ou péjorative de la grosseur.
Pelphine vit à Bruxelles depuis treize ans. En 2020, elle et deux amies ont cofondé le site et l’association « Fat friendly ». Il s’agit d’une carte interactive de l’accessibilité des espaces aux personnes grosses. «Elles et moi nous sommes rencontrées via le compte Instagram « Corps cools » que j’ai créé en 2019 », explique Pelphine. Aujourd’hui, les comptes Instagram de « Corps cools » et « Fat friendly » cumulent respectivement 40 000 et 5 000 abonnés. Les trois militantes à l’origine de « Fat friendly » ont souhaité proposer un site participatif à la communauté grosse de Belgique et de France. Parmi les lieux répertoriés : des restaurants, des cafés, des centres de santé, des magasins, ou encore des lieux culturels comme des musées. Les co-créatrices se sont inspirées du site « J’accède« , qui est son équivalent et créé par et pour les personnes handicapées. « Notre objectif, c’est de pallier au fait que très peu de lieux renseignent sur leur accessibilité. Qu’on se comprenne bien : on ne leur demande même pas d’être accessibles ! On demande le strict minimum, à savoir qu’ils fournissent des informations qui nous permettent, à nous personnes grosses, de savoir si on peut y accéder ou pas. » Pelphine explique être obligée de vérifier l’accessibilité d’un restaurant, d’un cinéma et même d’un cabinet médical sur internet avant de s’y rendre ou d’y prendre rendez-vous. « Je vais aller voir les photos disponibles en ligne par exemple, en espérant qu’ils n’ont pas changé les chaises entre-temps, ce genre de choses… » Les militantes ont été sollicitées et consultées dans le cadre de divers événements à Bruxelles, comme les journées du matrimoine.Pelphine se souvient : « Il y avait un mec qui bossait dans l’urbanisme et qui, lors de notre intervention, s’est rendu compte que dans son travail, il n’avait jamais pensé à cet enjeu d’accessibilité pour les personnes grosses. Ce sont des prises de conscience cruciales et dont on a besoin à une échelle plus large. »
Dès la création du site, on a eu pour volonté de sensibiliser et d’interpeller les pouvoirs publics sur le sujet. Aujourd’hui, il y a une dizaine de milliers de lieux qui sont recensés sur Fat Friendly !
Naviguer dans l’espace public quand on est gros-se
Pelphine dresse rapidement la liste (non-exhaustive) des problèmes rencontrés lors de chacun de ses déplacements :
- Pas d’ascenseurs dans les stations de métro.
- Les tourniquets à l’entrée de certains lieux. « Je fais de la natation, la piscine que je fréquente a installé des tourniquets. Moi, je passe tout juste, mais quelqu’un qui fait une taille au-dessus ne peut pas. A t-on vraiment besoin de tourniquets ? »
- Le manque d’accessibilité dans beaucoup de toilettes publics.
- Le mobilier (chaises avec des accoudoirs…). « De plus en plus de restaurants ont des tables fixées au sol, qu’on ne peut pas bouger, idem pour les chaises. Ça, c’est du mobilier anti-gros par excellence ! »
« Toutes ces choses sont des impensés collectifs, qui sont renforcés car on ne voit, du coup, jamais de personnes grosses dans les espaces publics. C’est un cercle vicieux. » Pour financer le projet, les militantes ont eu recours à un financement participatif (crowdfunding), qui leur ont permis de récolter 25 000 euros. « La campagne a été un grand succès, ce qui nous a confirmé qu’il y avait là un vrai besoin », assure Pelphine. « Le site coûte extrêmement cher. Ce n’est pas un simple site vitrine, il y a beaucoup d’algorithmes derrière. » En parallèle, les bénévoles de « Fat Friendly » donnent des formations auprès de maisons médicales, à la Fédération laïque des plannings familiaux de Belgique, dans des associations ou encore des partis politiques. « Nos formations ont pour objectif de proposer un autre regard sur le lien qui est fait entre grosseur et santé. L’argent de ces formations nous sert à financer le site. À terme, on aimerait bien pouvoir nous rémunérer et rémunérer d’autres personnes. » À cette longue liste d’actions que les trois militantes effectuent bénévolement, elles proposent aussi des groupes de parole pour personnes grosses. « On a un peu la pression de se dire, « si on le fait pas, personne ne va le faire ». C’est pas toujours facile, car ça nous fait beaucoup de choses à gérer », admet Pelphine. « Ta santé en pâtit forcément quand tu t’en prends plein la gueule et que rien n’est accessible pour toi. »
On pathologiste sans cesse les existences grosses. On parle « d’épidémies d’obésité », sans que ça n’indigne personne ! À Fat Friendly, on ne souhaite pas seulement incarner une stratégie réformiste. Bien sûr qu’il faut du matériel médical qui soit adapté par exemple, mais il faut combattre le mal à la racine. Ce qu’on veut, c’est un rapport radicalement différent à la grosseur !
Déconstruire les liens entre santé et grosseur.
Les militantes de Fat Friendly proposent, dans toutes leurs formations, des liens entre la santé et la grosseur. « Il s’agit d’une corrélation, non pas d’une causalité », affirme Pelphine. « À Fat Friendly, nous faisons le lien entre mauvaise santé et grossophobie. On fait le choix de décaler notre point de vue, et de nous demander comment serait la santé des personnes grosses dans une société qui ne les discrimine pas ? »
On touche au nœud du problème dès qu’on s’attaque à la grossophobie médicale, parce que c’est la médecine qui légitime la grossophobie.
Pelphine cite le scandale du Médiator, dont on vous a parlé dans la partie « Les enjeux ». « Moins connu, il y a aussi quelque chose de similaire avec l’Ozempic. J’en ai pris pendant deux ans car je suis diabétique. L’an dernier, j’étais très mal, au point d’avoir des envies suicidaires, et je ne comprenais vraiment pas pourquoi. Un jour, je suis tombée sur un article qui faisait le lien entre la dépression et l’Ozempic. J’ai décidé d’arrêter, juste pour voir. Depuis, je revis. » Pelphine tient à modérer son propos : « Peut-être que c’est une pure coïncidence, et peut-être aussi que l’Ozempic fonctionne bien pour d’autres personnes. Toujours est-il que je n’avais pas de pensées suicidaires avant de prendre ce traitement, et que je n’en ai plus eu depuis que je l’ai arrêté… » Pour Pelphine, la culture des régimes permet de faire de la grosseur une maladie, justifiant ainsi la vente de médicaments pour y remédier. « On nous sert des discours misérabilistes à base de : « c’est pas de votre faute, c’est une maladie ». » La militante raconte s’être imposée de fortes restrictions alimentaires par le passé. « J’ai fini par prendre conscience qu’il y a des gens qui vont stocker plus et différemment que d’autres. Il m’a fallu déconstruire toutes les idées reçues que j’avais sur la nourriture, comme les bons aliments opposés aux mauvais. J’ai ré-appris à manger. Mais c’est quelque chose que tout le monde devrait faire. » Pelphine ajoute que les femmes subissent davantage ces injonctions liées au poids et à la culture du régime. « Les femmes passent beaucoup de temps à contrôler leurs poids, leurs image. C’est quelque chose qui nous a été inculqué, dans lequel on perd beaucoup de temps et d’énergie, voire d’argent. Les discours qui consistent à dire que les femmes auraient besoin de X calories… On ne peut pas mettre toutes les femmes d’un même pays – et encore moins du monde – dans le même panier ! À cause de ce genre de discours, énormément de femmes sont sous-alimentées. »
Notre société fait tout pour que nous n’ayons pas un rapport apaisé à la nourriture, surtout les femmes.
La place de la grossophobie dans les milieux féministes et militants.
Associer la grosseur à quelque chose de positif, c’est assez révolutionnaire. On maintient tellement les personnes grosses dans la honte, c’est un sentiment qui est omniprésent pour nous. Beaucoup de personnes grosses trouvent ainsi normal de devoir payer deux sièges dans le train pour elles-mêmes. La lutte contre la grossophobie avancerait tellement si on arrivait à créer de la fierté grosse !
La militante déplore que la lutte contre la grossophobie ne soit pas davantage investie dans les milieux féministes et de gauche. « Nous, personnes grosses, n’avons pas la possibilité de faire d’emprunt bancaire, ni d’avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Les femmes grosses sont dix-huit fois plus discriminées à l’embauche que les femmes minces. Nous sommes moins bien payées… Il y a là un énorme enjeu politique et féministe. Pourtant, il est sans cesse mis de côté. » Pelphine avoue avoir renoncé à s’investir dans les milieux féministes. « C’est fatiguant d’être la personne qui doit toujours rappeler les choses. Je me sentais vraiment seule. Bien sûr, c’est difficile de remplir toutes les conditions d’accessibilités. Mais moi, je n’organise pas d’événement durant lequel les chaises ne seraient pas adaptées pour tout le monde, par exemple. Il y a un certain nombre de choses qui restent faisables, mais ce n’est jamais une priorité dans les milieux militants de gauche. » Pelphine rêve du jour où des marches des fiertés grosses seront organisées. « Notre revendication n’est pas de s’aimer et de se trouver beau ou belle. Mais de revendiquer le droit à notre existence. » La militante explique que l’un des arguments auquel elle est souvent confrontée dans son activité militante, est celui qui consiste à dire qu’il ne faut pas « faire l’apologie de l’obésité ». À cela, la militante belge répond : « À partir du moment où l’on déconstruit les liens entre la santé et la grosseur, je ne vois pas le problème à revendiquer de la fierté grosse ! » Pelphine cite le documentaire « Crip camp », qui aborde le mouvement des droits des personnes handicapées aux États-Unis dans les années 1970 : « À un moment, une militante handicapée dit : « si on doit être reconnaissants d’avoir accès à des toilettes accessibles, est-ce que la barre n’est pas un peu basse ? » Et c’est exactement ça ! On est prêts à se contenter de miettes tellement on en est nul part. C’est quelque chose que l’on partage avec la communauté handicapée. D’ailleurs, le fat activism doit beaucoup aux handicapés. » Pelphine et ses camarades ont conscience qu’elles partent de très loin, et qu’il y a encore beaucoup à faire.