Les enjeux
Les discriminations à l’égard des femmes handicapées sont nombreuses et se cumulent. L’accès à la maternité en fait partie. Jusque dans les années 1990, plusieurs centaines de femmes avec des handicaps mentaux ont été stérilisées sans leur consentement en France, alors même que la stérilisation contraceptive était encore illégale. En 2020, il n’existe aucune aide spécifique (qu’elle soit financière ou humaine) pour les parents avec handicap(s). La loi de 2005 est celle qui définit la politique française vis-à-vis du handicap. Elle présente cinq notions générales liées à l’insertion des personnes handicapées dans la société :
- le droit à la compensation
- l’emploi
- la scolarisation
- l’accessibilité des lieux publics
- la mise en place des MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées).
Rien n’est écrit concernant la parentalité.
L’association Handiparentalités milite depuis 2010 dans ce sens pour demander un accès aux soins, la formation des différentEs professionnel-les et travailleurSEs sociaux, un accompagnement des parents et futurs parents, des sensibilisations… L’association coordonne aussi un projet d’exposition intitulé « C’est votre enfant ? » depuis quelques années. Plusieurs parents, dont cinq mamans avec handicap(s) (moteurs ou sensoriels) y participent pour visibiliser leurs quotidiens.
L’initiative
Pour beaucoup de gens, avoir un enfant en tant que personne handicapée, c’est une mauvaise idée.
Charlotte Puiseux est mère d’un enfant de quatre ans. Diplômée de deux masters, l’un en philosophie, l’autre en psychologie, elle est spécialisée sur les questions féministes, queer* et d’handiparentalité. En janvier 2020, elle a ouvert un cabinet de psychologie en ligne : « En tant que personne handi, travailler en ligne c’est pas seulement un confort, c’est une nécessité. » Elle raconte que la question de l’handiparentalité a surgit à l’arrivée de son premier enfant. « Il y a beaucoup de clichés sur les mères handicapées qui seraient des mauvaises mères. » C’est l’objet de la table-ronde qu’elle anime au festival Very Bad Mother : « comment l’handiparentalité interroge les normes de parentalité ? » Elle évoque brièvement le parcours compliqué de sa grossesse : « il a fallu trouver des soignants qui acceptent de me suivre, et surtout qui soient à l’écoute. » Elle confie que « beaucoup d’entre eux étaient obnubilés par ma pathologie. Ils ont fait des choix pour moi que j’ai dû un peu payer par la suite… » Si la militante handi féministe vit avec une auxiliaire de vie 24h/24 « je suis en fauteuil électrique, c’est ma vie et j’y suis parfaitement habituée ! », elle explique que l’aide à la parentalité est un réel métier à construire en France. Les problématiques liées à l’handiparentalité sont l’illustration d’une société hétéropatriarcale et validiste* qui normalise ce que doit être une « bonne mère ». La culture crip déconstruit et interroge ces normes, afin de proposer une autre façon de voir le handicap.
Je ne cherche pas une nounou pour mon fils, ni à déléguer mon rôle de mère. Je voudrais quelqu’un qui m’aide à m’occuper de lui. Et cette différence est loin d’être évidente pour tout le monde.
Le crip : reprendre le queer à la lumière du handicap
Largement méconnu en France, Charlotte Puiseux a consacré sa thèse de philosophie au mouvement crip. Né dans les années 2000, « le crip a repris le queer à la lumière du handicap. » Dans sa thèse, Charlotte Puiseux se concentre sur quatre aspects du mouvement :
1/ Le retournement du stigmate. De la même manière que les communautés LGBTQIA+* se sont réappropriées le terme queer (bizarre, anormal) à l’origine stigmatisant, le mot anglais crip signifie boiteux, estropié.
2/ La désidentification. « Le système validiste hiérarchise les corps valides et handi autour de deux identités. Bien sûr, l’un des deux a plus de valeur que l’autre. Et puis une séparation aussi binaire est forcément fausse. On peut être à la fois valide et handicapé, mais à des degrés divers. Dans la médecine notamment, un corps dit “valide” est un corps qui marche. Par “corps”, j’entends aussi le psychique bien entendu. »
3/ La performativité. « Les personnes handi doivent parfois surjouer leur handicap afin de correspondre à l’image normative qu’on attend d’elles. » Le queer performe le genre depuis des années (à l’image des drags queen par exemple). Le crip quant à lui propose de performer le handicap, comme le fait la compagnie de spectacle américaine Sins Invalid (photo ci-dessous) ou encore la chanteuse Nomy Lamm.
4/ L’idéal régulateur. D’abord théorisé par Michel Foucault, ce principe est repris par Judith Butler pour aborder le système hétéronormé, dans lequel l’hétérosexualité est perçu comme un idéal sanctuarisé. Dans le mouvement crip, cet idéal est le corps valide, considéré comme relevant « d’un ordre naturel des choses, et non comme une identité spécifique. »
Pour davantage d’informations concernant la culture crip et le travail de Charlotte Puiseux, le collectif des Ourses à plumes y a consacré un article très complet ici.