Les livres de médecine ne parlent pas des douleurs provoquées par les gestes des médecins. Et beaucoup de médecins pensent que si c’est pour le bien des patientes, la douleur est justifiée. Aucune douleur n’est justifiée. Jamais.

Martin Winckler, Le Choeur des femmes.

Depuis quelques années, la parole se libère autour des violences médicales – et notamment obstétricales – grâce aux mouvements féministes et aux témoignages de nombreuses personnes. Pour pallier aux discriminations vécues en tant que patient-e, des listes de médecins dites safes (sûr-es, NDLR) se développent et circulent de plus en plus sur internet. L’été dernier, la liste de soignant-es noir-es et racisé-es du collectif Globule Noir a fait polémique, mais ce type de listes existe depuis des années. Pour beaucoup de patient-es, elles constituent parfois l’un des rares moyens pour se protéger des violences sexistes, racistes, LGBTIAphobes*, validistes* ou encore grossophobes*. À l’instar du site Gyn&Co qui propose une carte de France des gynécologues bienveillant-es et/ou féministes depuis 2015. À cela vient s’ajouter les témoignages et récits des soignant-es sur les violences au sein même de leurs professions. L’an dernier, deux jeunes doctoresses ont publié une thèse sur les violences subies par les internes en médecine en France. Au total, plus de 2000 internes en médecine générale et issu-es de 37 universités françaises ont été interrogé-es :

  • 93,6% d’entre elles et eux ont déclaré avoir subi des violences psychologiques de façon occasionnelle ou répétée.
  • 53 % déclarent avoir subi des violences de nature sexuelle et sexiste.
  • 49,6 % des violences physiques.
  • près de 20 % un bizutage. 31 % expriment avoir déjà eu des idées suicidaires.

Le secteur compte aussi des inégalités salariales et des professions encore très genrés. Si le milieu médical s’est largement féminisé au fil du temps, très peu de femmes occupent les postes de direction ainsi que les professions à forte reconnaissance sociale (la chirurgie par exemple). À l’inverse, elles forment l’écrasante majorité des infirmières, des aides-soignantes ou encore des sages-femmes. La crise sanitaire qui dure depuis près d’un an l’a bien révélé, les professions les plus exposées pour faire face à sa gestion sont largement occupées par des femmes.

Image extraite du documentaire Tu enfanteras dans la douleur d'Ovidie.
Image extraite du documentaire « Tu enfanteras dans la douleur » d’Ovidie © Arte

Cette initiative est née de notre colère face à des discours qui ne nous conviennent pas. On ne se sentait pas représentées.

Maya (prénom d’emprunt), est médecin généraliste à Toulouse. Avec une amie, elle a cofondé l’association « Pour une M.E.U.F » (Médecine Engagée, Unie et Féministe) en 2016. « C’est parti d’une blague sur Twitter, puis on a décidé de passer à l’action. », raconte t-elle. Parmi la centaine d’adhérent-es qui compose aujourd’hui l’association, la moitié est issue du corps médical (généralistes et internes en médecine). La seconde moitié est composée d’autres professionnel-les tel-les que des sages-femmes, des gynécologues, des infirmièr-es, des kinésithérapeutes ou encore des psychiatres… Les antennes principales sont à Paris, Toulouse, Nantes et Lyon, mais les membres sont présent-es partout en France. L’association propose aux soignant-es différents ateliers tout au long de l’année. Celui qui rencontre le plus de succès porte sur la bienveillance en gynécologie. « C’est en grande partie grâce aux collectifs et associations de patientes, mais plus largement aux féministes qui se sont beaucoup mobilisées sur ces sujets. » Parmi les sujets abordés durant cette formation : « on travaille sur comment on accueille une patiente, comment poser telle ou telle question, quel comportement adopter en fonction de ses réactions ou encore pourquoi palper le sein tous les quatre mois ça sert à rien. Ce genre de choses. » explique Maya. Elle précise : « Nos formations sont là pour améliorer les enseignements qu’on a reçu, corriger le tir, ce sont des compléments. »

En revanche, les ateliers sur les discriminations racistes, validistes ou encore grossophobes sont « plus compliqués en termes d’accueil », précise Maya. « Rien que le terme de violences obstétricales est rejeté par une grande partie de la profession encore aujourd’hui. » En décembre dernier, les inscriptions pour leur premier atelier en ligne sur la bienveillance en gynécologie se sont remplies en l’espace de deux heures ! Malgré tout, « Pour une M.E.U.F » entend lutter contre les discriminations dans leur ensemble. Diverses sessions destinées aux professionnel-les de santé sont ainsi organisées tout au long de l’année, en partenariat avec d’autres collectifs militants :

  • le harcèlement sexuel dans les milieux soignants (et comment s’en défendre),
  • la grossophobie, en partenariat avec le collectif militant Gras Politique,
  • l’intersexuation* avec le Collectif intersexe et Allié-es,
  • le racisme avec le collectif Mwasi,
  • le travail du sexe avec l’association Grisélidis,
  • la santé sexuelle des femmes et personnes non-binaires* lesbiennes, bisexuelles et pansexuelles*.

Des discussions entre soignant-es et soigné-es sont aussi mises en place. « Ça nous tient à cœur d’offrir des espaces de discussion avec les patientes. » 

Il y a une vraie demande de la part d’une partie des soignant-es, mais ceux qui ont encore le pouvoir dans nos professions ne sont pas du tout réceptifs.

Manifestation contre les violences obstétricales et gynécologiques, à Paris en novembre 2023.
Manifestation contre les violences obstétricales et gynécologiques, à Paris en novembre 2023. © Collectif Stop VOG

La violence du système médical

L’association Pour une M.E.U.F. et ses membres représentent une position marginale dans le milieu médical. Maya précise d’ailleurs que « beaucoup d’entre nous ne souhaitons pas parler en notre nom. Aussi parce qu’on veut axer notre propos sur nos revendications, et pas sur nos vécus personnels. » La médecin raconte que des étudiantes subissent encore du harcèlement lorsqu’elles se positionnent contre des fresques pornographiques dans les salles de médecine, ou contre une soirée étudiante sexiste. « En retour, elles sont harcelées en ligne et hors ligne. » La médecin explique aussi que tout-es les étudiant-es subissent la violence du système médical. « C’est un milieu dans lequel il y a une hiérarchie très forte, avec plein de chef-fes et de sous-chef-fes. Quand on est interne, on fait nos formations à l’hôpital qui fonctionne en vase clos avec ses propres règles. Les violences morales et psychologiques sont fréquentes. » Maya détaille : « Par exemple, si on ne sait pas répondre à une question, on est humilié devant tout le monde. » La militante ajoute que l’excuse de « l’humour carabin » est utilisée pour justifier le harcèlement et les violences verbales. « Il y a un esprit “on est des gros durs, donc si tu craques c’est que tu n’as rien à faire ici.” Alors qu’à 19 ou 20 ans, on se retrouve à devoir disséquer des cadavres. D’ailleurs la dissection est un passage obligé qui ne sert pas à grand-chose professionnellement, mais y a un côté bizutage là aussi. » À ces violences s’additionne des conditions de travail difficiles, des horaires impossibles, des études exigeantes… Même si, tempère Maya : « Trop de professionnel-les se cachent derrière ces conditions de travail difficiles pour justifier les violences envers les patient-es. Certes, dans ces conditions, tu ne peux pas bien faire ton travail, mais rien ne justifie des violences envers des patient-es. » Maya ajoute que si toutes les professions comportent leur lot de discriminations, il y a un rapport de force entre un-e soignant-e et un-e soigné-e qui ne doit pas être ignoré ou minimisé. « En cas de violence de la part du soignant, c’est un facteur aggravant. Ça peut entraîner des erreurs de diagnostic, un mauvais soin etc. » La violence médicale commence lorsque le-a professionnel-le de santé ne respecte par son-sa patient-e en tant que sujet. « Ne pas écouter sa patiente ou nier son ressenti par exemple, c’est déjà de la violence. »

Trop de professionnel-les se cachent derrière ces conditions de travail difficiles pour justifier les violences envers les patient-es. Certes, dans ces conditions, tu ne peux pas bien faire ton travail, mais rien ne justifie des violences envers des patient-es.

À terme, les membres de « Pour une M.E.U.F » ont la volonté d’organiser un congrès de soignant-es. Et en attendant que la situation sanitaire s’améliore, les formations de l’association se font en ligne.