Les enjeux
Le 23 septembre dernier, Doona, une étudiante trans* de Montpellier s’est suicidée. L’une de ses amies a raconté la violence transphobe quotidienne qu’elle subissait dans une interview accordée à Têtu. Cette rentrée scolaire a aussi été marquée par le mouvement du « lundi 14 septembre ». Des lycéennes de toute la France se sont rendues à l’école habillées de manière « indécente » et « provocante » selon les termes employés par les administrations scolaires et qu’elles dénoncent. L’initiative a été relayée par le collectif national Nous Toutes et la chanteuse Angèle. Des collégiennes et lycéennes ont également témoigné par centaines sur les réseaux sociaux sur les expériences sexistes vécues dans leurs établissements. Beaucoup d’entre elles racontent avoir subi des remarques, parfois des sanctions disciplinaires à cause d’une jupe jugée trop courte ou du port d’un crop-top (haut qui laisse voir le nombril). Dans une interview sur RTL, le ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré qu’il fallait « s’habiller de façon républicaine » pour aller à l’école. Les organisations et activistes féministes ont dénoncé l’hypersexualisation des corps des jeunes filles, par ailleurs très bien expliquée dans le livre « Hétéro, l’école ? » de Gabrielle Richard : « Les codes vestimentaires constituent un autre des tentacules de cette culture scolaire hétéronormative*. Qu’ils régissent au centimètre près la longueur des jupes et bermudas ou la largeur des bretelles de débardeur, ces règlements sont éminemment sexistes en ce qu’ils s’appliquent disproportionnellement à policer le corps et l’apparence des filles. » Enfin, le Caélif a récemment publié son dernier baromètre des LGBTQI-phobies* dans les universités françaises. Dans cette enquête :
- 1 répondant-e LGBTQI+ sur 10 a été victime de LGBTphobies dans son établissement.
- 85% d’entre elleux ne rapportent pas ces faits à l’administration.
- Dans un peu moins d’1 cas sur 5, les faits rapportés ont été commis par un-e ou des membre(s) de l’équipe pédagogique.
Face à tous ces constats, des initiatives voient le jour en France mais aussi à l’étranger. En 2018, un réseau LGBTQI+ regroupant des membres du système éducatif britannique à vu le jour au Royaume-Uni. Et en 2021, l’Ecosse va devenir le premier pays au monde à enseigner Histoire et cultures LGBTQI à l’école.
L’initiative
En tant que personnes trans, aucune loi ne nous protègent au sein de l’Éducation Nationale. On est à la merci de nos directions.
À 28 ans, Loup est professeur d’Arts plastiques dans deux collèges de région parisienne. Avant de connaître puis de rejoindre queer éducation, il se questionnait sur comment gérer sa transidentité* auprès de son administration. « Par chance, j’ai entendu parler de Tim, l’un des membres du collectif et c’est comme ça que je me suis retrouvé à ma première réunion. » queer Éducation est un collectif et une association. En septembre 2019, des membres de l’Éducation Nationale (enseignantEs du primaire au supérieur, assistantEs d’éducation, CPE, personnels administratifs…) se réunissent sur un groupe privé Facebook avec pour objectif de « queeriser » l’éducation et son institution. Un an plus tard, ce groupe a dépassé le millier de membres. « Jusqu’à présent, il n’y avait pas de lieux pour échanger sur ces questions. », indique Loup. Et les besoins sont de taille, tout autant que leurs ambitions. Parmi les actions mises en place, il y a d’abord le volet associatif. « Il s’agit par exemple de créer des groupes de soutien ou encore des aides juridiques. Agir en complémentarité avec les syndicats qui n’ont pas forcément le temps ou les moyens de travailler en profondeur sur toutes ces questions. » L’association travaille également à l’archivage de témoignages, de séquences de cours ou encore de situations types (comment gérer une insulte en classe, une séquence de cours sur la grammaire du neutre…), le tout regroupé sur une base de données. Enfin, le collectif est quant à lui destiné à des actions « moins officielles et plus vénères ». L’intérêt, pour Loup est de « Faire bloc. Montrer qu’on est nombreuxSEs et de donner du poids à nos revendications. »
L’obligation de neutralité est aussi un moyen de fermer l’Histoire et de prétendre que le passé est coupé du présent.
Parmi les critiques majeures faites à l’Éducation Nationale, figure l’obligation de neutralité des enseignantEs. « Ça pose tout de suite la question de ce qu’est le neutre ? Dans les faits, il y a toujours ce sur quoi on a le droit de se positionner en classe, et l’inverse. » Loup raconte alors que dans l’ancien collège où il exerçait, les élèves ont dû réaliser des affiches sur la thématique des discriminations. « Le problème, c’est qu’on avait tellement d’interdits sur ces sujets que ça a donné des affiches où il était écrit : “Harceler c’est mal” ; “Tout le monde peut être harcelé” ; “Insulter c’est mal”… Les messages étaient tellement creux et dépolitisés que ça faisait même rire les élèves, qui ne sont pas dupes. » De fait, tout le monde ne peut pas être harcelé et certainement pas de la même façon selon le genre, la race ou encore l’orientation sexuelle. Si l’objectivité est la subjectivité des dominants, travailler contre les discriminations ne peut jamais être neutre. Loup l’expérimente dans son enseignement des Arts Plastiques. « Comment parler d’Histoire de l’Art sans aborder l’appropriation culturelle* ? Et plus généralement des effets majeurs de la colonisation sur certaines cultures, et qui ont encore un impact aujourd’hui ? »
Parmi les autres missions que se donne le système éducatif français, il y a le développement de l’esprit critique des élèves. À ce sujet, Loup assène : « Sur la forme, développer l’esprit critique, c’est très bien. Sauf qu’on a peu de moyens pour le faire, et ce n’est pas un hasard. Des élèves conscients des discriminations et des défaillances des institutions font des individus très engagés politiquement, et ça, c’est dangereux. »