Le mouvement Black Lives Matter (la vie des Noir-es comptent) fut créé en 2013 par trois femmes afro-américaines : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, à la suite de l’acquittement du meurtrier de Trayvon Martin. En février 2012, l’adolescent désarmé de 17 ans est abattu par balle en Floride par George Zimmerman, un vigile. En 2020, le meurtre de Georges Floyd a remis sur le devant de la scène politique et médiatique ces protestations. La France n’y échappe pas puisque de nombreux collectifs se sont créés ces dernières années, à l’image de Justice et Vérité pour Adama dont la figure de proue est la sœur aînée de ce dernier, Assa Traoré. Moins connu en France, le mouvement « SayHerName » a émergé à partir de 2014 aux États-Unis. Issu du concept d’intersectionnalité* théorisé par Kimberlé Crenshaw, ce mouvement a pour objectif de donner plus de visibilité aux violences policières commises envers les femmes noires. L’exemple le plus récent est celui de Breonna Taylor, jeune afro-américaine de 26 ans abattue de huit balles dans la nuit du 12 au 13 mars 2020 par des policiers alors qu’elle dormait dans son lit. Le Forum politique afro-américain, à l’origine de « SayHerName », répertorie sur son site les noms des victimes et explique le projet politique du mouvement.

Art mural représentant Breonna Taylor, à Oakland en Californie.
Art mural représentant Breonna Taylor, à Oakland en Californie. © Elizabeth Patrician, Rachel McCrafty et Rachel McConnell (avec l’aimable autorisation de l’artiste).

Je participe au festival Very Bad Mother car c’est important d’investir chaque espace de lutte pour donner de la visibilité à nos combats et s’unir entre nous tout-e-s.

Pendant le festival Very Bad Mother, une soirée pour aborder les violences policières, sociales et juridiques sera organisée avec Awa Gueye ainsi que Geneviève Bernanos, co-fondatrice du collectif des Mères solidaires et les collectifs Femmes en lutte 93 et Mamans de Mantes-la-Jolie. Face aux violences policières, ce sont en majorité les femmes « qui portent les brassards », comme l’affirme Awa Gueye dans un sourire. Son combat, elle le mène depuis bientôt 5 ans. À Rennes, dans la nuit du 2 au 3 décembre 2015, Babacar Gueye dort chez un ami quand il fait une crise d’angoisse et se livre à des gestes d’auto-mutilation avec un couteau de cuisine, qui lui laissent des « éraflures sur les bras et le ventre. », selon son ami appelle alors les pompiers. Mais ce sont quatre agents de la police nationale et quatre policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) qui arrivent alors sur les lieux. L’un d’eux tire cinq balles sur Babacar, qu’il reçoit dans le dos et la hanche selon le rapport d’expertise. « Ils l’ont ensuite menotté au sol avant que les secours arrivent. Personne ne mérite d’être traité comme ça, dans aucun contexte », affirme Awa Gueye, sa sœur aînée. Son frère meurt à l’hôpital dans les heures qui suivent. Le lendemain, les huit policiers présents au moment des faits portent plainte contre Babacar et parlent d’un jeune homme « agressif » et « menaçant ». Depuis, c’est un combat judiciaire dans lequel s’est engagée Awa Gueye et avec elle tou-te-s les membres et les soutiens du collectif Justice et Vérité pour Babacar. Une lutte qui vise l’ouverture d’une procédure à l’encontre des responsables de la mort de son frère. Un droit à la justice, en somme.

Il y a encore quelques années, je parlais peu le français et j’étais isolée. Aujourd’hui, je ne me sens plus seule car il y a beaucoup de familles derrière moi.

Awa Gueye lors d'une marche en mémoire à Babacar Gueye et en soutien à sa famille en 2019.
Awa Gueye lors d’une marche en mémoire à Babacar Gueye et en soutien à sa famille en 2019. © Jaya – La Meute (gracieuseté du photographe).

Ils sont venus, ils ont fouillé chez moi et ont pris des papiers médicaux de Babacar. Ils savaient que j’étais seule, isolée et que je ne savais ni lire ni écrire le français.

Lorsque Awa Gueye apprend la nouvelle de la mort de son frère, elle est à l’école de son fils. Sous le choc, elle fait un malaise et est emmenée à l’hôpital où elle en sort quelques heures plus tard. Elle se rend ensuite au commissariat. « Les policiers m’ont mis sous les yeux la photo de mon frère décédé. Ils m’ont fait du chantage. Pour savoir où se trouvait le corps de mon petit frère, je devais leur donner sa carte d’identité. » Ils la suivent alors chez elle et entrent sans autorisation ni mandat. Quatre des policiers présents au moment des faits déposent plainte contre Babacar pour tentative d’homicide, comme l’explique plus en détail cette contre-enquête de Bastamag. Les récits d’intimidations sont fréquents dans ces affaires, notamment dans celle d’Adama Traoré. Récemment, les trois gendarmes qui l’ont tué ont d’ailleurs été condamnés pour procédure abusive. Ils doivent payer 2.000 euros à Assa Traoré, suite à leur action judiciaire pour « atteinte à la présomption d’innocence » des gendarmes, pour laquelle ils avaient réclamé un montant de 30 000 euros. Le policier en cause dans le décès de Babacar Gueye a quant à lui été blanchi et la légitime défense retenue. « Il a depuis été muté à Saint-Brieuc. S’il n’est pas en tort, pourquoi faire ça ? Et pourquoi porter plainte contre un homme qui est mort ? » Désormais, Awa Gueye est sur tous les fronts. Elle explique payer les frais d’avocat avec l’argent des pulls et des t-shirts du collectif et d’une cagnotte en ligne. « C’est très dur, pour nous toutes. On doit gérer les enfants et le travail en plus de tout ça. », exprime Awa Gueye, par ailleurs maman d’un jeune adolescent de 13 ans. « Mon fils a très peur de la police depuis la mort de son oncle. Souvent, quand on sort, il panique s’il voit une voiture de policiers ou des gendarmes. » Le prochain rassemblement de soutien à Awa Gueye aura lieu le 24 septembre prochain à Rennes à l’occasion de la reconstitution des faits. Lors du dernier rassemblement en juin dernier, plus d’un millier de personnes s’était rassemblé.