Les enjeux
La France est en train de rejoindre le banc des pays qui autorisent la Procréation Médicalement Assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules aux côtés de la Belgique, du Royaume-Uni ou encore de l’Espagne. Le 1er août dernier, le projet de loi bioéthique a été adopté en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. Le texte doit désormais passer devant le Sénat en janvier prochain. Si c’est une vraie avancée pour les femmes lesbiennes, bisexuelles et hétérosexuelles, célibataires ou non, désireuses de fonder une famille, cette loi continue d’exclure de nombreuses personnes. Parmi elles :
- Les personnes intersexes*. Le gouvernement refuse d’interdire les mutilations sur les enfants intersexes, pour lesquelles la France a été condamnée trois fois par l’Organisation des Nations Unies (ONU). (Nous avions consacré le premier numéro de Lisbeth sur le sujet).
- Les femmes et personnes non-binaires* racisées. Dans le texte actuel, aucune mesure n’est prise concernant le principe d’appariement. Cette norme médicale consiste à choisir les gamètes d’un-e donneur-se en fonction de la personne receveuse afin qu’il y ait le même phénotype (couleur des cheveux, des yeux et de la peau, la taille…). Or, les dons d’ovocytes de personnes racisées sont rares en France, ce qui complique l’accès à la maternité pour celles-ci.
- Les personnes trans.* À l’heure actuelle des pères trans peuvent porter des enfants et des mères trans peuvent le devenir avec leur propre sperme, mais rien n’est mis en place pour l’établissement de la filiation. Beaucoup de personnes transgenres sont ainsi contraintes de devoir choisir entre une reconnaissance de leur identité trans sur leur état-civil ou un accès à la parentalité. Cela expose ces personnes à de nombreuses discriminations, à l’image de cette mère vannetaise dont le tribunal de grande instance de Lorient lui avait refusé la garde de sa fille en 2015 (avant qu’elle n’obtienne gain de cause six mois plus tard).
À l’occasion du festival Very Bad Mother sur les parentalités dans le féminisme (reporté au mois d’avril 2021), la question de la transparentalité (être parent et trans) y aura toute sa place.
L’initiative
J’ai voulu raconter de manière pédagogique notre quotidien de famille homoparentale avec une maman trans.
Claire Lemaire est dessinatrice de bandes dessinées et graphiste. En 2012, elle imagine une histoire sous forme de conte pour expliquer sa transition à sa petite fille alors âgée de 4 ans. Très vite, elle s’aperçoit de l’absence de ressources francophones sur la question de la transparentalité et crée alors le blog Maman trans. « Aujourd’hui à travers la page Facebook et le blog, j’échange principalement avec des parents trans et cisgenres* conscients des enjeux d’une pédagogie accessible autour de la transidentité. » À travers des récits de vie commune, la dessinatrice raconte les clichés cisnormatifs* et leur absurdité. « C’est un enjeu éducatif. Si l’on souhaite que les mentalités restrictives changent envers les personnes trans, il est nécessaire de transmettre à travers la pédagogie que le monde n’est pas binaire homme-femme. » Donner à voir des familles où chacun-e se respecte et s’accepte est primordial pour la représentation. « Être parent transgenre est encore un tabou. Notre communauté trans n’est pas privilégiée : on a notre lot de faits divers et d’histoires cruelles, injustes et tristes au quotidien. » La dessinatrice avoue elle-même avoir souffert d’un manque de représentation positive en grandissant. « Adolescente, j’ai cherché en vain des sources d’informations sur la transidentité*. Mais je ne cherchais pas aux bons endroits. Naïvement je pensais que je pouvais trouver mes réponses dans les librairies ou les bibliothèques. »
« Je ne me vois pas être prise au sérieux si je vais porter plainte pour transphobie administrative. »
Des années plus tard, elle vit une séparation compliquée avec son ex-compagne. « Avec ma fille au milieu, j’ai eu maintes fois la sensation d’être avec une pelle au milieu d’un champ de mines face aux discours qu’elle subissait. Le conflit de loyauté déchire les enfants et rétablir un dialogue constructif de base entre les parents est primordial. Si c’est courant chez les couples qui se séparent mal, le “facteur trans” amplifie les coups bas. » En France, la transphobie est punie par la loi, mais déposer plainte dans un commissariat est souvent difficile. « Je ne me vois pas être prise au sérieux si je vais porter plainte pour transphobie administrative. Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur les équipes de l’enseignement de ma fille qui étaient respectueuses. » Depuis, Claire Lemaire fait le choix de se consacrer au positif dans sa vie. « J’ai envie de parler des moments tendres et forts que nous vivons en famille. »
Montrer de la tendresse et de l’humour pour contrecarrer les difficultés que l’on peut tousTEs traverser, c’est constructif à mon sens.
Après plus de deux années de dessins sur le blog Maman trans, il y a désormais assez d’histoires pour un album. Un premier tome issu des dessins du blog parfois repris et complétés d’histoires inédites devrait voir le jour d’ici l’année prochaine. Claire Lemaire souhaite aussi aller au delà du sujet de l’éducation des enfants. « Avec ma copine Marie, (alias Téton Flou), on a imaginé un space opéra militant et déjanté où les héroïnes sont des lesbiennes dans un futur inclusif qui luttent contre les masculinités toxiques en minorité. » Un roman graphique d’anticipation et queer féministe, « où l’humour est au centre du récit. » Les étapes de conception seront partagées au fur et à mesure sur son compte Instagram. « La spontanéité et la fraîcheur avec lesquelles ma fille me pose des questions sur la culture queer* me donnent de l’espoir. »
Lors du festival Very Bad Mother, Claire Lemaire co-animera un groupe de discussion en mixité choisie (sans personnes cisgenres) sur les transparentalités avec l’auteur Adel Tincelin. Elle proposera également un atelier bande dessinée pour les adolescentEs et les plus jeunes.