Enquêter sur les maltraitances vécues par les étudiant·es en soins infirmiers, c’est pagayer à contre-courant : non parce que le phénomène serait marginal, mais parce que les victimes redoutent les représailles qui pourraient compromettre leurs études, et beaucoup de personnes sollicitées ont refusé de témoigner, même anonymement. Lisbeth remercie toutes les personnes qui ont accepté de livrer leur témoignage, anonymement ou non, et adresse son soutien à toutes celles et ceux qui, par peur ou lassitude, ont préféré se taire.

Commentaires racistes, enfermement dans les stalles de stockage de matériel, vols de repas avec impossibilité de manger pendant des gardes de douze heures, obligation d’effectuer parfois plus de quatre heures supplémentaires sous la menace, critiques et insultes devant les patients, etc. Les exemples sont nombreux. Ces brimades répétées m’ont poussée à abandonner la carrière d’infirmière que je souhaitais entreprendre depuis plusieurs années.

Extrait de « Omerta à l’hôpital : le livre noir des maltraitances faites aux étudiant·es en santé », de Valérie Auslender

Lorsqu’elle pousse les portes de l’EHPAD au sein duquel elle doit effectuer un stage, Meriem (prénom d’emprunt) est confiante et a soif d’apprendre. L’empathie dont a fait montre l’infirmière au chevet de sa grand-mère cancéreuse a fini par la convaincre : elle aussi sera infirmière. Elle aussi, prodiguera des soins aux patient-es et s’évertuera à les soulager. Mais c’est la douche froide. Devenue étudiante, Meriem se voit constamment « refourguée » aux aides-soignantes, une attitude lourde de sens sur la façon dont certains emplois sont (dé)considérés au sein de l’hôpital, y compris par les soignant-es elleux-mêmes. Tous les jours elle enchaîne les toilettes des résident-es, un travail opéré par les aides-soignant-es, et côtoie très peu les infirmières auprès desquelles elle se sent indésirable. « On me voyait surtout comme une main d’œuvre supplémentaire », narre t-elle. Dépitée mais pas découragée, Meriem entame alors un nouveau stage qu’elle espère plus enrichissant. Ses débuts à l’hôpital la ragaillardissent et lui font presque oublier le goût amer laissé par ses précédentes expériences. Ses relations avec l’équipe soignante sont alors au beau fixe. Elle a même le « privilège » de déjeuner en compagnie des infirmièr-es. Mais cette cordialité ambiante est brutalement rompue lorsqu’une de ses collègues la croise par hasard dans la rue : et pour cause, Meriem est voilée à l’extérieur, en-dehors de ses heures de travail. Au lendemain de cette rencontre fortuite, l’atmosphère change au sein du service. C’est le début de deux semaines de harcèlement continu. « Quel dommage de cacher d’aussi beaux cheveux ! » ; « Je ne comprends pas du tout les femmes qui se voilent. Elles sont forcément sous emprise. » Les commentaires s’enchaînent à son sujet. Son régime alimentaire est passé au crible. Sa non consommation de viande suscite des remarques insidieuses. Certain-es lui proposent même, avec insistance, des confiseries à base de gélatine de porc. Expédiée sans ménagement auprès des aides-soignantes, Meriem est soudainement traitée telle une pestiférée. Jadis bien encadrée par les infirmières qui répondaient volontiers à ses questions d’ordre académique, elle se heurte désormais à leur refus catégorique de réponses. On l’invite à se débrouiller toute seule et à « devenir adulte. » Le passage d’une infirmière remplaçante lui accordera un jour de répit au cours duquel elle renoue avec l’apprentissage. « La présence passagère de cette infirmière a été une bouffée d’air frais. Avec elle, j’ai pu faire les traitements, procéder à la préparation des antibiotiques. Ce jour-là, je n’ai pas été embêtée une seule fois par l’équipe soignante qui s’est abstenue de tout commentaire désobligeant à mon égard » nous raconte Meriem, encore très marquée par ce harcèlement raciste et islamophobe.

Un jour, lasse de subir, l’étudiante s’en ouvre à son Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI). « Il va falloir assumer vos choix de vie », reçoit-elle pour seule réponse, ce qui la plonge dans un mal-être profond. Sur conseil de camarades promotionnaires qui traversent des situations à peu près similaires, elle contacte la Fédération Nationale des Étudiant.e.s en Sciences Infirmières (FNESI) : une instance représentative des 120 000 étudiant·e·s en sciences infirmières de France. Là-bas, elle trouve une écoute réconfortante qui apaise temporairement sa tristesse et son angoisse. Elle est redirigée vers la Coordination Nationale d’Accompagnement des Étudiantes et des Étudiants qui met à disposition des étudiant-es une ligne d’écoute mobilisant des professionnels plus à même de défricher le problème et d’y apporter une solution ou une tentative de solution à travers une orientation vers les contacts adéquats. Jadis réservé aux étudiant-es en santé, ce dispositif a été rendu accessible à tout-es les étudiant-es et permet de signaler des faits de discrimination, de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles qui sont pénalement répréhensibles. Aujourd’hui, Meriem est suivie par un psychologue. En sanglots, elle nous confie avoir la boule au ventre à l’idée de retourner en stage.

Les discriminations auxquelles sont confrontées le personnel infirmier noir et la patientèle noire dans les établissements de santé sont documentés dans beaucoup d'autres pays occidentaux.
Les discriminations auxquelles sont confrontées le personnel infirmier noir et la patientèle noire dans les établissements de santé sont documentés dans beaucoup d’autres pays occidentaux.

L’absence de statistiques ethniques : un tabou et un frein à une évolution des pratiques

En France, l’article 8 de la « loi Informatique et libertés » de janvier 1978 interdit de « traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique. » Les statistiques ethniques sont donc strictement interdites sauf rare exception. Ce tabou levé aurait permis de mieux appréhender et documenter les discriminations faites aux étudiant-es racisé-es au cours de leurs études, une demande par ailleurs formulée depuis longtemps par de nombreux-ses militant-es anti-racistes. Car le cas de Meriem n’est pas isolé. Dans son enquête bien-être 2025 consacrée à la santé mentale des étudiant-es en sciences infirmières, et réalisée auprès d’un échantillon de 16.000 répondant-es, la FNESI a recensé 9% d’étudiant-es en soin infirmiers subissant une discrimination liée aux origines et à la religion. « En réalité, nous pensons que la proportion d’étudiant-es concerné-es par les discriminations racistes est bien plus importante que le pourcentage annoncé car les violences de cet acabit sont tellement répétées et continues qu’elles ne sont pas forcément relevées par les étudiant-es », nous explique Damien Sarmeo, président de la FNESI. « Malgré les dispositifs de protection et d’anonymat mis au service des étudiant-es, beaucoup d’entre elleux ont une peur bleue de s’en saisir », ajoute t-il avant de regretter que la profession ne considère pas assez la vulnérabilité des minorités ethniques au cours des études dans cette filière. Une double peine pour les concerné-es qui, en plus de subir la pénibilité du statut d’étudiant infirmier, font les frais de leur appartenance à une minorité ethnique ou religieuse. Ce phénomène de racisme subi par les futurs soignants n’est pas nouveau. Dans tous les cas, l’agonie de ces étudiant-es n’est pas une fable. Les chiffres tirés de l’enquête bien-être de la FNESI citée plus haut sont inquiétants. Selon elle, en 2025 :

  • environ 7 étudiant-es en soins infirmiers sur 10 ont déjà pensé à arrêter la formation,
  • 20,33 % de ces étudiant-es ont déjà eu des idées suicidaires en lien avec la formation,
  • et 1 étudiant-e sur 10 a déjà tenté de se suicider.

Il y a des dizaines d’étudiant-es en soins infirmiers qui se suicident chaque année selon nos recensements, dans une indifférence absolue.

Vincent Descargues, fondateur de l’Addesi

Vincent Descargues, fondateur de la défunte Addesi (Association de Défense des Droits des Étudiants en Soins Infirmiers) se remémore les filtres officieux qui présageaient déjà de la composition des futures promotions d’étudiant-es infirmièr-es. « Avant l’existence de Parcoursup, la liste des admis-es aux concours écrits était publiée et affichée sur un mur. On notait beaucoup de prénoms issus des minorités ethniques et religieuses, mais après les épreuves orales, la majeure partie des ces prénoms disparaissaient. L’épreuve orale opérait comme un filtre en faveur des jeunes filles blanches. » Il y a quelques années, l’Addesi écrivait d’ailleurs que, pour avoir son diplôme d’infirmier, il valait mieux « avoir la peau blanche. » Parmi les étudiant-es qui avaient contacté cette association pour solliciter de l’aide, 50% avaient des origines ethniques d’Afrique noire, du Maghreb, des DOM-TOM et d’Asie.

Des situations de racisme vécues par les étudiant-es, Maëlle en a vu et s’en est offusquée plus d’une fois sur ses réseaux sociaux. Le compte Tiktok de cette infirmière créatrice de contenus est devenu le déversoir de centaines de témoignages d’étudiant-es infirmièr-es en souffrance, parmi lesquels figurent en bonne place les étudiant-es racisé-es. Consciente de son privilège de femme blanche dans un milieu gangréné par un racisme banalisé, Maëlle joue sa partition « d’alliée » à son échelle. Par devoir éthique, moral. Par devoir d’humanité, simplement. Un jour, elle envoie un rapport à une cadre pour signaler le cas d’une étudiante harcelée moralement et psychologiquement, car noire. Mais la démarche s’apparente à un coup d’épée dans l’eau puisqu’elle n’aboutit à aucune sanction. Une routine pour Maëlle, qui affirme : « À chaque fois que je fais des signalements, je n’obtiens pas de résultats. La victime est considérée comme coupable de manière systématique », déplore t-elle. Alors, elle fait des vidéos pour alerter et relayer à ses 59.000 abonné-es des cas de maltraitances, en plus d’informer sur le métier d’infirmier et ses dysfonctionnements. En scrollant sur sa page, on tombe par exemple sur l’histoire d’une étudiante infirmière martiniquaise à qui il est reproché d’être lente dans sa manière de faire des pansements. Une lenteur qui s’expliquerait car « c’est dans ses gènes. »

Naomi Musenga, 22 ans, décédée à Strasbourg après un appel au SAMU durant lequel les opératrices s'étaient moquées d'elle et avaient refusé de la prendre en charge, au prétexte du "syndrome méditerranéen." . © DR
Naomi Musenga, 22 ans, décédée à Strasbourg après un appel au SAMU durant lequel les opératrices s’étaient moquées d’elle et avaient refusé de la prendre en charge, au prétexte du « syndrome méditerranéen. » . © DR

« Toutes les fois où j’ai vécu du racisme, je portais ma blouse d’étudiant infirmier. »

Alors, il faut se rabattre sur des solutions plus à portée de main. Lakhdar (prénom d’emprunt) table sur « l’information » et la « sensibilisation » des soignant-es, mais aussi des patient-es. Il sait de quoi il parle. Étudiant infirmier, il a longtemps été témoin et victime du racisme à l’hôpital. « Toutes les fois où j’ai vécu du racisme, je portais ma blouse d’étudiant infirmier », constate t-il avec amertume.

Un jour, un patient m’a appelé « couscous ». Agacé que je ne lui réponde pas, il a renchéri en m’appelant « tajine ». J’ai rapporté l’incident à ma tutrice, qui a dit qu’elle n’y voyait aucun inconvénient car c’est comme si elle se faisait appeler « bœuf bourguignon ».

Lakhdar poursuit : « Je me suis senti incompris et abandonné par ma tutrice et mes collègues, au silence complice. C’est moi qui ai dû faire un travail de sensibilisation auprès du patient. » Lorsqu’il lui vient à l’esprit l’idée de chercher du soutien auprès de la cadre afin de signaler un événement indésirable, il se heurte à une réponse sans appel de cette dernière : « On ne va quand même pas ouvrir un dossier à chaque fois qu’un patient tient des propos racistes, sachant que c’est continuel… » Lakhdar a des origines maghrébines et est homosexuel. Il n’est pas musulman et pourtant, on le considère de facto comme tel. À certaines occasions, il devient le réceptacle de micro agressions quotidiennes qui laissent des traces. « Comme on considère d’office que je suis musulman, lorsque survient le ramadan par exemple, mon absence de jeûne interroge et suscite des réflexions non sollicitées. On me demande sans cesse pourquoi je ne jeûne pas. Ce qui me pousse à devoir constamment me justifier du fait que je ne sois pas musulman. » Le calvaire de Lakhdar ne s’arrête pas là et prend même une dimension capillaire quand certains de ses collègues s’octroient la permission de toucher et manipuler ses cheveux vus comme une attraction, car n’obéissant pas aux standards de beauté blancs et européens. Au cours de ses stages, Lakhdar se sent esseulé et s’aperçoit que la préparation mentale qu’il avait faite avant d’intégrer le milieu infirmier ne suffira pas. En face, la machine à broyer est pernicieuse et use. Au cours d’un stage en particulier, il perd 25 kilos et finit par redoubler son année. Les maltraitances y faisaient légion. Un jour, c’est la foire aux propos homophobes tenus par son tuteur de stage sous l’indifférence totale des membres du service. Un autre jour, des infirmièr-es et aides soignant-es surnomment un patient d’origine asiatique : « le tchong » : « On a un tchong qui vient d’arriver. Il a mal au dos. » Ou encore des hommes jugés efféminés sont surnommés « les iels » par les membres d’un service d’urgence de l’hôpital. Sans oublier ce jour où ses collègues accusent les personnes d’origine maghrébine « d’exagérer leurs symptômes » car « c’est dans leur culture. » En France, le syndrome méditerranéen tue car il pousse certain-es soignant-es à entretenir des préjugés racistes au sujet des patient-es racisé-es qu’ils ne vont pas prendre en charge de manière effective.

En 1952, le psychiatre et militant anticolonialiste Frantz Fanon parlait déjà de « syndrome nord-africain » et soulignait le mépris médical que subissait la population algérienne à l’époque. Les récents décès de Naomi Musenga et Meggy Biodore, deux femmes non-blanches victimes d’une mauvaise prise en charge médicale sont un rappel constant que les soignant-es prompts au racisme constituent une menace pour la sécurité des patient-es racisé-es. De quoi majorer la rage de Lakhdar qui invite à former et sensibiliser les soignant-es. « Il faut imposer aux soignant-es une formation sur ce type de sujets afin de réduire les problèmes et diminuer l’ignorance. Un étudiant infirmier issu d’une minorité ne peut pas éduquer tout le monde à lui tout seul ! » Pour illustrer son propos, Lakhdar prend l’exemple de la transidentité. « En IFSI on n’est pas sensibilisé à la transidentité. En tant que personne queer, le rapport au corps est différent. C’est important, mais on est pas éduqué à ça. En trois années de cours, je n’ai jamais eu un seul cours sur la transidentité et la prise en charge des personnes queer alors que rencontrer une personne qui ne s’identifie ni au genre masculin ni au genre féminin, c’est possible et ça peut survenir dans notre pratique. Ces questions doivent être intégrées à la formation d’infirmier sans que cela ne soit tabou ! »

Il y a quelques années, on ne parlait pas de consentement aux soins. C’était le médecin sachant, l’infirmier exécutant, et le patient soigné qui n’avait pas son mot à dire et qui acceptait ce qu’on lui faisait. Aujourd’hui, juridiquement parlant, on a intégré le consentement aux soins et cela fait partie de notre formation. Quand on fait une toilette on demande d’abord, par exemple. On doit continuer de faire évoluer nos formations. Si on est pas capable d’égalité dans les soins, on ne peut pas se revendiquer comme un hôpital du service public.

Lakhdar

Hôpital à Marseille
Hôpital à Marseille © Shutterstock

La justice sur le banc des accusé-es

Le 9 mai 2021, l’Addesi est dissoute après 7 années d’activité qui ont épuisé les bénévoles déçu-es par le peu de mobilisation des étudiant-es en soins infirmiers. En effet, sur les 294 étudiant-es dont elle s’est gracieusement occupée, seule une quinzaine de personnes ont adhéré à l’association. Dans son bilan d’activités, l’Addesi écrit : « Ce long travail associatif nous a permis de réaliser que si, en France, la discrimination est illégale, elle est néanmoins largement tolérée. Les avocats, découragés d’avance, refusent de prendre en charge les dossiers, les juges étouffent les affaires, les policiers et gendarmes dissuadent toute tentative de plainte. » Ce constat est le résultat d’un combat âpre pour faire valoir en justice les droits des étudiant-es. Le travail de recensement opéré par l’Addesi a permis d’effectuer un signalement des 9 Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) les plus violents aux procureurs de la République concernés. Cependant, aucun signalement n’a abouti à l’ouverture d’une enquête. « Il y a des victoires au tribunal administratif, des obtentions d’annulation de décisions d’exclusion définitive de l’IFSI, mais à ma connaissance, il n’y a jamais eu de victoire judiciaire après une plainte pour discrimination et harcèlement moral », nous informe Vincent Descargues. Le rapport de l’Addesi, quant à lui, indique : Les étudiants qui ont tenté d’attaquer directement les harceleurs par une plainte au procureur de la République ont été dissuadés par des officiers de police ou de gendarmerie. Certains d’entre eux ont ajouté en off qu’un procureur n’attaque jamais un cadre de la fonction publique hospitalière. » En février 2021, celle-ci a saisi le Défenseur des droits auquel elle a adressé un dossier de 62 pages issues des travaux d’activité de sa cellule de soutien auprès des 294 étudiant-es, et un courrier de 16 pages rédigées par un avocat, des documents que Lisbeth a pu consulter. Dans ce courrier, l’avocat s’offusque du fait que : « les juridictions administratives rejettent systématiquement les requêtes en excès de pouvoir déposées par les étudiants, empêchant l’émergence d’une jurisprudence favorable aux étudiants. » Cet avocat constate également que les multiples modifications de la législation applicable aux étudiant-es infirmièr-es empêche l’établissement d’une défense solide des droits des étudiant-es. Dans sa réponse formulée le 28 mars 2021, et que Lisbeth s’est également procurée, le Défenseur des droits refuse de se saisir de ce dossier, au motif que : « vous n’évoquez pas la situation d’étudiant personnellement victimes de discrimination de telle sorte que les éléments transmis ne nous permettent pas d’aller plus loin (…) » Le Défenseur des droits ajoute : « Aussi, nous ne pouvons qu’inviter les étudiants personnellement victimes de discrimination à nous saisir, le cas échéant, par votre intermédiaire. » Ce silence de la justice interroge et accroît le sentiment d’impuissance des étudiant-es qui y réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans un combat judiciaire souvent perdu d’avance. Un combat qui nécessite des ressources morales, psychologiques, intellectuelles et surtout financières. L’action en justice a un coût que tout-es ne peuvent supporter.

Des revendications qui restent lettre morte

Les cris d’alerte inlassablement poussés par les étudiant-es ne semblent pas être entendus. L’administration refuse de reconnaître formellement l’existence de maltraitances faites aux apprenant-es, qui préfère évoquer un « mal-être étudiant » dû à la pénibilité de l’exercice de la profession d’infirmier. L’Addesi parle de « violence institutionnelle, présente sur tout le territoire et orchestrée par l’administration publique hospitalière. » Elle va même plus loin et parle d’un « choix politique », au vu de la passivité des IFSI, des Agences Régionales de Santé et des autorités judiciaires. Vincent Descargues regrette également l’absence d’un syndicat de défense des droits des étudiants infirmiers. « Quand un étudiant a un conflit avec un cadre, le conflit devient un conflit avec l’IFSI, et le conflit avec l’IFSI devient un conflit avec l’Agence régionale de santé (ARS). Le syndicat est le contre-pouvoir qu’il faut pour appuyer l’étudiant, et, par extension, mettre la pression sur les élus et les ministres de tutelle ! », tonne-t-il. À l’heure actuelle, il existe quelques associations à l’échelle locale ou une fédération locale comme la FESIL (Fédération des Étudiants en Soins Infirmiers Lyonnais) et nationale comme la FNESI, et tous disposent de moyens limités. En attendant, ce ne sont pas les propositions pour améliorer l’expérience des étudiant-es au cours de leurs formations qui manquent. Parmi celles-ci, l’Addesi propose :

  • de laisser les étudiant-es choisir leurs stages,
  • d’obliger les formateur-ices à justifier toute invalidation de stage,
  • d’autoriser la présence des délégué-es étudiant-es aux Commissions d’Attribution des Crédits (commissions qui servent à valider les Unités d’Enseignement (UE) et les stages réalisés par les étudiant-es au cours de leur formation),
  • et d’impliquer réellement les Agences régionales de santé (ARS) dans la lutte contre le harcèlement et la discrimination sur les lieux de stage.

Sur ce dernier point, la FNESI réclame elle aussi « une sensibilisation sur les discriminations, le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles dès le début de la formation des étudiant-es, ainsi que pour les cadres formateur-ices, les tuteur-ices et encadrant-es de proximité. » Et parce que l’amélioration du bien-être des stagiaires infirmiers ne peut se faire sans une collaboration des soignant-es dans leur ensemble, le travail de ces derniers doit être valorisé. À cet effet, l’Addesi propose une prime salariale ainsi que des heures de récupération. « Et surtout, que l’encadrement en stage se fasse sur la base du volontariat. » Enfin, les pistes pour lutter contre l’impunité qui règne dans ce milieu professionnel sont elles aussi plurielles. L’Addesi évoque la mise en place d’un « Parquet National contre la discrimination », à l’image du Parquet National Financier créé contre la délinquance financière en 2013.

Corriger l’impunité, c’est mettre les formateurs, les soignants, les cadres de santé et les directeurs et directrices des 350 établissements de formation devant leurs responsabilités.

Vincent Descargues

En cas de reconnaissance de culpabilité, l’Addesi réclame que les responsables soient sanctionnés par les ARS, « à la hauteur du préjudice subi. » Mais, pour l’heure, ces propositions restent lettre morte. Même la plateforme nationale d’évaluation des lieux de stage, promise par la DGOS en 2023, et qui doit permettre d’évaluer de façon objective chaque étudiant, chaque stage et lieu de stage, se fait toujours attendre.