Les enjeux
Depuis la légalisation du mariage pour tout-es en France en 2013, les couples homosexuels peuvent avoir recours à l’adoption pour établir une filiation légale entre le deuxième parent et l’enfant. Pour cela, il faut se rendre devant un-e notaire, attendre un délai de rétractation de 2 mois incompressible et imposé puis faire une demande d’adoption. Certains tribunaux peuvent même convoquer les parents au commissariat pour une enquête. Ensuite, la procédure d’adoption peut aller de 6 mois à 2 ans. Pendant tout ce temps, la filiation avec le second parent n’existe pas. Il n’y a donc de protection ni pour le parent, ni pour l’enfant. Le texte du projet de loi bioéthique qui fut adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale en juillet dernier prévoit :
- la reconnaissance anticipée de l’enfant devant notaire. Dans un couple lesbien, il s’agit de la reconnaissance conjointe pour celle qui n’a pas accouché.
- pendant 3 ans après la date publication du texte de loi, les couples ayant eu recours à une Procréation Médicalement Assistée (PMA) à l’étranger avant la loi pourront faire une reconnaissance conjointe.
Le projet de loi est encore soumis aux navettes entre les chambres du Parlement. Lors de la seconde lecture par le Sénat en février dernier, l’extension de la PMA aux femme seules et aux couples lesbiens a été rejetée. Si la commission mixte paritaire mise en place pour tenter de faire émerger un accord entre les député-es et les sénateur-ices échoue, c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot. En attendant, des familles sont dans l’attente et de nombreuses personnes se mobilisent pour obtenir des droits.
L’initiative
Ce qu’on veut, c’est une réforme de la filiation en France. Mais la plupart des députés, notamment Les Républicains, ne sont vraiment pas prêts à l’entendre.
Sandy Vianet est la mère biologique de Lorena, sa fille aînée de 11 ans. « J’ai eu ma grande par insémination artisanale en Espagne. Je me suis mise ensuite en couple avec mon ex quand Lorena avait 2 ans. » Le couple décide de se rendre en Espagne pour une Procréation Médicalement Assistée (PMA). « On a choisi que ce soit mon ex qui porte l’enfant, et on a mis en place une coparentalité. Ce qui a été mon tort. » Sandy devient alors la maman sociale de Guilia. Dans un couple lesbien, la mère sociale (ou d’intention) est celle qui n’a pas porté l’enfant et n’a donc aucun lien juridique avec celui-ci. « On a voulu apporter du bonheur à un couple d’hommes gays et on a ainsi établit une double filiation pour Guilia. » Deux parents biologiques et deux parents d’intention en somme. Sauf que la loi n’encadre pas ce type de famille. Guilia ayant déjà une double filiation, Sandy Vianet n’a pas la possibilité de recourir à une adoption plénière. « On s’est mariées pour protéger les enfants. Sauf qu’au bout de 6 mois de mariage, mon ex est partie. Au début on vivait encore à proximité donc je pouvais voir Guilia, mais mon ex a finalement décidé de me l’enlever. » Sandy prend alors conseil auprès d’une avocate, puis démarre une procédure judiciaire. « Il y a d’abord eu une assignation par un huissier. Là, mon ex m’a très vite rendue la petite. Mais au bout de 3 mois, elle me l’a enlevée à nouveau. » La procédure se poursuit au tribunal. Après une première séance en mars 2019, et de nombreux reports à cause du covid, une nouvelle convocation a finalement lieu en novembre 2020. « J’ai eu ma réponse il y a 15 jours. J’ai perdu le procès. Maintenant je vais faire appel. »
Création de l’association « Parents sans droits ».
Quand j’ai créé l’association, je me suis rendue compte que j’étais loin d’être la seule à vivre ça.
Co-présidente de l’association Parents sans droits qui milite pour une réforme de la filiation en France, Sandy Vianet raconte : « J’ai été contactée par Christel Freund, une maman sociale de Perpignan. C’est fin 2018 qu’on a créé l’association. » Aujourd’hui, Parents sans droits compte environ 150 adhérent-es dans toute la France. Grâce à l’association, ce sont entre 20 et 30 familles accompagnées qui ont retrouvé leurs enfants. « Nos avocat-es se servent de l’article du Code civil prévu à l’origine pour les grands-parents. » L’article 371-4 stipule que les parents ne peuvent (sauf motif grave) faire obstacle aux relations personnelles de l’enfant avec ses grand-parents et que des visites peuvent être accordées à « d’autres personnes, parents ou non. » « C’est le seul levier juridique dont on dispose à l’heure actuelle. Mais une fois les enfants récupérés, on a aucun droit sur eux. Et ça ne permet pas de transmettre son héritage à son enfant en cas de décès non plus. » Les membres de Parents sans droits ont rencontré plusieurs député-es pour faire entendre leurs revendications et leurs histoires. « Le premier à s’être intéressé à nous était le député Yannick Kerlogot (LREM). Par la suite, pas mal de député-es ont commencé à nous contacter. » Parmi elleux, la députée LREM Laurence Vanceunebrock-Mialon, elle-même lesbienne et mère de deux filles nées de PMA en Belgique. Elle s’est d’ailleurs fait connaître pour ses prises de position concernant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ou encore pour interdire les thérapies de conversion en France. Sandy Viannet explique qu’avant de consulter les membres de l’association, aucun-e député-e n’avait pensé à une disposition rétroactive du projet de loi bioéthique. Parents sans droits accompagnent toutes les personnes qui en font la demande. « Les gens nous contactent sur les réseaux sociaux, ont leur dit ce qui est possible selon leur situation et on les met en contact avec nos avocat-es. On leur apporte du soutien moral aussi. » Pour les adhérent-es, un conseil juridique mensuel gratuit est possible.
Si le texte de loi approuvé à l’Assemblée Nationale parvient à être voté dans sa version actuelle, 95% de nos adhérent-es pourront retrouver leurs enfants. Mais pas tout le monde. Pas moi.